Le premier amour
Sándor Márai a 28 ans quand il écrit ce premier roman sous la forme du journal intime d'un homme de 54 ans, honorable professeur de latin dans une petite ville de la province hongroise, vers 1910. Ce célibataire mène une vie terne et routinière, dénuée de surprises et d'affects : cours au lycée, repas préparés par sa gouvernante, soirées au club, très rares visites à la maison de tolérance. En villégiature (pour la première fois depuis 28 ans) dans une station thermale de montagne, il se met à tenir son journal pour tromper son ennui. Du 4 août au 20 juin de l'année suivante, ce journal va devenir lecompte rendu d'une crise imprévisible. Au fur et à mesure qu'il écrit les menus faits et gestes de ses journées, des bribes de souvenirs d'enfance lui reviennent, la glace qui recouvrait ses émotions se craquèle, il se découvre « en attente de quelque chose, quelque chose qui devrait arriver », il ne sait pas quoi. Plusieurs petits faits - la rencontre d'un inconnu auquel il se confie inopinément, la demande d'argent que lui adresse un collègue empêtré dans une sordide affaire d'adultère - annoncent « l'événement » qui va faire basculer sa vie : le professeur s'éprend d'une de ses élèves... Un premier amour violent, tardif, et ravageur. Le contraste entre la fausse banalité du récit, la naïveté du narrateur et l'irruption progressive d'éléments étranges, de fausses notes qui fonctionnent comme des signaux d'alarme pour le lecteur, génère une tension et un suspense impressionnants. Avec une maîtrise confondante pour un débutant, Márai, qui a lu Freud et Ferenczi, décrit la descente implacable d'un homme dans la psychose.