L'Amazone du grand Dieu
Mariée à dix-sept ans, mère à dix-huit, veuve à dix-neuf ans, entrée en religion à trente-trois, après une éclatante période mystique, Marie de l'Incarnation, née Marie Guyart à Tours quarante ans plus tôt, quitte le port de Dieppe le matin du 4 mai 1639 pour aller évangéliser le Canada. Elle laisse derrière elle, pour ce voyage incertain traversé de pirates, de corsaires et de glaces errantes, sa famille, le couvent où le diable lui a une fois rendu visite, et son fils, en classe de rhétorique à Orléans d'où il est venu, sur la route, lui faire ses adieux. Pendant un peu plus de trente ans, elle dirigera le couvent qu'elle a bâti puis reconstruit après le grand incendie, enseignera les " filles sauvages ", composera des dictionnaires hurons, notera des manières d'accommoder prunes et melons, portera des dizaines de lettres à chaque vaisseau en partance, rédigera pour son fils plusieurs Relations autobiographiques. Si la vie de Marie Guyart est une vie d'exception, c'est que, par un accord énigmatique et profond avec son temps, cette grande mystique doublée d'une femme d'action a été rapidement reconnue comme la figure dont avait besoin la Contre-Réforme dans sa stratégie de reconquête. La première et la plus grande de celles que le P. Le jeune, jésuite, nomme les " amazones du grand Dieu ", elle a ainsi contribué à mettre en place, vers 1650, une nouvelle configuration politique et religieuse de la France que la révolution de 1789 viendra affronter.