Doux comme un cornichon et propre comme un cochon
Carson McCullers n'a que peu publié de son vivant, et pourtant, cinquante ans après sa mort, elle apparaît plus que jamais comme l'enfant terrible des lettres américaines. Les lecteurs, qui continuent de redécouvrir son oeuvre, s'identifient toujours à ses personnages et lui vouent un véritable culte. Pourtant, son dernier opus, publié à New York en 1964, demeure méconnu et n'a jamais été traduit en français. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'agit ni d'un roman, ni d'un recueil de nouvelles. Étonnamment, Carson McCullers, sur son lit de douleur, a écrit des petites comptines et poèmes pour enfants, illustrés et rassemblés sous le titre joyeux, espiègle, de Doux comme un cornichon et propre comme un cochon. Elle, qui avait connu la consécration très jeune, travaillait alors à son autobiographie et se demandait ce qu'elle pourrait transmettre de son expérience aux générations futures. C'est ainsi qu'elle a composé vingt-deux petites histoires rimées, d'une grande simplicité et d'apparence légère, qui suivent le cours des saisons au rythme des fêtes de Pâques, d'Halloween ou de Noël. Toutes ses historiettes célèbrent la candeur, l'innocence de l'enfance dont Carson McCullers, qui n'a jamais été mère, a gardé des impressions très nettes et des sensations intactes. Elle qui définit l'écrivain comme « un rêveur par nature », sait parfaitement retranscrire les rêveries enfantines, mais aussi les questionnements incessants sur les contradictions du monde : « Qui a mis le "A" dans août ? » « Le Père Noël va-t-il manquer la maison de René, qui n'a pas de cheminée ? » « Pourquoi est-ce malpoli de montrer quelqu'un du doigt, mais pas un rat ni un arc-en-ciel ? » On retrouve aussi, par touches, l'un des traits les plus frappants de son oeuvre : son empathie envers chaque individu, même les plus inadaptés, qui ont tant de mal à trouver leur place. Ici, c'est Sport Williams, un garçon de l'école, si méchant que seule sa mère est capable de l'aimer. Comme un clin d'oeil à son passé, Carson évoque aussi le Sud de son enfance et décrit une scène familiale, lorsqu'une petite fille écoute sa mère lui parler du temps de sa jeunesse. La nostalgie du familier et le désir ardent de la découverte se révèlent dans les tableaux qu'elle fait de New York, ville qu'elle a elle-même rejointe à dix-sept ans. À la lecture de ces pages, Carson apparaît comme un être sensible et délicat qui, à l'image de cette girafe croisée dans le zoo de Manhattan, s'est trouvé projetée dans la vie comme en terre inconnue... Les dessins aux crayons de couleur de Rolf Gérard, adorables, s'accordent à merveille avec le ton du recueil et offrent un écrin vintage à cette très jolie édition.
Illustrations de Rolf Gérard.