LE TRAIN D'ALGER

« Je n'arrive pas à trouver de hiérarchie parmi toutes les choses que je veux vous dire. Dès que j'entre dans votre bureau, j'ai l'impression que mes idées volent en éclat, comme les vitres de notre appartement à Alger. »Le premier souvenir d'enfant de cette femme, le souvenir paradoxalement fondateur, c'est « boum ! ». Un boum qui la fait trembler encore, cinquante ans plus tard, celui du train qui a sauté, miné par des explosifs du FLN alors qu'âgée de trois ans elle accompagnait sa mère. Le wagon échoué comme un cétacé, la panique, le sang, les cadavres qu'on aperçoit dans la rue, les noms effacés des boîtes aux lettres comme une effarante anticipation, les voisins qui disparaissent comme des fantômes, la mort qui rôde dans la rue comme un chien sans maître - la guerre d'Algérie est vue par les yeux d'une petite fille, qui se sauve grâce à une imagination impérieuse. Toujours tentée de dérailler, alors que ses parents vieillissent et divaguent, elle dit la féérie du désastre.
En chapitres courts, le récit passe de l'hyperréalisme aux fulgurances poétiques, mené par une narratrice qui adopte le ton badin d'un guide désinvolte aux enfers.