Mémoire tu l'appelleras, Tome 1 : Les vignes de Berlin
« Devenu un enfant coureur de prés et de bois, c’est à Congy, dans le village de mes grands-parents maternels, que je découvre les chiffres secrets de nos destinées. J’interroge les silences et les rares confidences des hommes de ma famille. Mon grand-père, vigneron, ancien combattant de 1914, injustement arrêté comme collaborateur en 1944. Mon père, instituteur idéaliste, a peine débourbé de sa forêt, prisonnier dans un stalag pendant plus de trois ans, résistant. Ils me cèdent presque malgré eux quelques bribes sorties de la nuit des humbles. Les guerres ont laissé trop de cicatrices sur leurs cœurs fermés ou trop transparents. Le silence et la résignation sont leur pain quotidien. Ce sont des gens sans aïeux et sans papiers de famille. Je comprends leur laconisme, et je ne peux m’empêcher de penser que leur pauvreté appartient de plein droit à la poésie du monde. Mais il n’y a pas que le monde d’hier qui fasse tourner mon âme de derviche champenois. J’ai comme un sismographe branché sur les tempes et qui me transmet les prouesses d’une époque où le pas du temps s’accélère comme jamais. …Ainsi furent mon enfance et ma jeunesse, souvent solitaires, dilatées dans un temps qui n’était pas seulement celui de l’instant présent. J’avais la terre pour miel et j’étais impatient de prendre ma place dans une longue patience. La révolution et l’amour remplissent l’été de mes vingt ans. Le grand imprévu de 1968 décide de beaucoup de choses. Je quitte Paris (déjà) pour plus de dix années, dont quelques une passées comme ouvrier dans des usines des bords de la Moselle. Chaque homme avance dans sa propre vie avec à ses côtés cette servante évoquée dans une chronique ancienne, et dont le visage est tourné vers l’arrière : « mémoire tu l’appelleras ». J’ai l’impression d’avoir toujours connu cette femme à mes côtés. Comme j’ai toujours su qu’un jour, j’écrirai ce livre pour dire ma découverte du monde et le besoin que j’ai très tôt ressenti de le raconter ». … D.R. … …