Les encombrants
Nous sommes dans un petit village du nord de la France, où tout le monde se connaît, où tout le monde feint d'ignorer ce qu'il sait des autres. Jean l'orphelin s'est sauvé à dix ans pour aller vivre dans les bois voisins, de cueillette et de menus larcins. Et les cent vingt-quatre villageois, qui se souviennent de ce qui les arrange, ont oublié qui il était. Il est un peu comme ces encombrants dont on se débarrasse sur le trottoir, une fois par an, le jour des monstres, et dont il meuble sa baraque perchée sur la fourche d'un arbre.
Jean est tantôt l'idiot, l'elfe ou l'ogre. On l'injurie, on le bénit. On l'accuse du mauvais temps, des vaches qui se blessent sur des outils perdus. L'enfant sauvage d'autrefois a désormais vingt-sept ans. Les hommes le surnomment Hérisson rouge, à cause de ses cheveux et de sa maigreur ; ils s'en méfient, c'est un beau gars et les mères craignent un peu pour leur fille. Car dans les campagnes aussi, les adolescentes aiment et fuguent. Et la haine couche silencieuse dans les hautes herbes…