Faire parler le destin
Entre L'Interprétation du rêve (1899) et L'Homme Moïse et la religion monothéiste (1939), le monde a basculé.
Après la ruine culturelle de la Grande Guerre, à quelle représentation du destin confier le projet d'émancipation de l'humanité ? Comment, face à la faillite des idéaux, concevoir les forces psychiques qui assujettissent les hommes ? La « faute tragique » telle que Freud l'avait héritée des Grecs permet-elle encore d'appréhender le désir meurtrier inconscient, son refoulement et la culpabilité civilisatrice ?
A partir de 1920, Freud remanie en profondeur son appareil théorique pour saisir les sources de la sauvagerie psychique, introduisant la pulsion de mort pour élucider l'aspiration à la destruction, ne renonçant jamais aux exigences de la raison lorsque « faire parler le destin » cherche à nommer les puissances qui dominent et tiennent captive l'humanité.
De l'inconnaissable des romantiques au mythe du meurtre originaire, de la controverse avec les détracteurs de l'inconscient à la réflexion sur l'assise scientifique de la psychanalyse, Freud ne cesse de soumettre à évaluation critique les « préjugés enthousiastes » du Siècle des Lumières, parcourant le chemin d'une désillusion dont nous sommes les héritiers directs.
Freud, continuateur de Kant et de Goethe, et interlocuteur de Thomas Mann — qui a partagé sa terrible lucidité face au désastre qui s'avançait.
Comment apprécier aujourd'hui l'effet de ce désastre sur le devenir de la psychanalyse ? Est-il seulement exact de parler de « crise » lorsque l'effondrement de la scène tragique a ébranlé l'architecture même de la pensée qui permettait de concevoir la symbolisation des destinées ?
En quelle « langue » le destin peut-il encore se dire ?