Theodor W. Adorno : Un ultime génie
Singulière, cette biographie l'est à plus d'un titre. Parce qu'elle n'ignore rien des soupçons qu'Adorno avait fait peser sur la fonction idéologique des biographies qui célèbrent la vie autodéterminée, quand cette autodétermination est une pure fiction dans le monde contemporain de la marchandisation généralisée, caractérisé par la liquidation de l'individu. Pour Adorno, la glorification, au titre du « génie », de l'individu créateur, est la marque éminente de la conscience bourgeoise vulgaire. Une phrase de la Théorie esthétique suffit à proscrire l'usage du vocable « génie » dans toute monographie : « Les producteurs d'oeuvres importantes ne sont pas des demi-dieux mais des hommes faillibles, souvent névrosés et meurtris. » (p. 239, AGS 11, p. 255) Si donc le recours au genre biographique comme au vocable « génie » semble maintenu dans le titre, c'est pour être contrarié dès le sommaire puisque les chapitres peuvent être lus isolément et en désordre comme autant de lignes surimposées dessinant le palimpseste final.