Le Sens du Beau : Aux origines de la culture contemporaine
Comment vivre bien sans la beauté, sans la multiplicité des symboles et des significations qu'elle offre à nos méditations, à nos conversations ? "Des goûts et des couleurs on ne discute pas", prétend la sagesse des nations... Et pourtant, ajoutait Nietzsche, on ne fait que cela ! Sans doute, mais cependant pas depuis toujours... Dans l'Antiquité, la question des critères du Beau ne se posait guère. L'oeuvre d'art possédait une certaine objectivité, définie par sa capacité d'incarner à notre échelle les propriétés harmonieuses de l'Ordre du monde, du grand Tout cosmique. Elle s'imposait donc aux hommes comme un "microcosme", doué de qualités incontestables. Le Moyen Age reconduira cette conviction que l'art a pour fonction de mettre en oeuvre dans un matériau sensible une vérité supérieure et extérieure à l'humanité, celle de la splendeur des attributs divins. Il faut attendre le XVIIème siècle pour qu'advienne la "Révolution du goût" : l'idée qu'il existe au plus intime du coeur humain un sens du beau et que l'oeuvre a pour vocation, non plus d'incarner une vérité, cosmique ou divine, mais de plaire à la sensibilité des êtres humains. Et c'est au XVIIIème siècle, sur fond de cette première de la culture, que la philosophie de l'art prendra la forme d'une théorie de la sensibilité, d'une esthétique. L'oeuvre n'apparaît plus comme le reflet d'un univers transcendant, mais comme une création de part en part réalisée par et pour les êtres humains. L'auteur et le spectateur, le génie et son réceptacle, deviennent ainsi les deux visages inséparables de cette subjectivisation de la beauté. C'est de cette singulière mutation, à l'origine de toute la culture moderne, que le présent livre tente de retracer l'histoire et de dégager les enjeux. Plus largement, il vise à éclairer nos débats actuels en les situant dans la perspective globale de la sécularisation du monde, de "l'humanisation du divin".