Ma Provence
Il y a des régions où l'on se sert des mots pour se confier et même, à la rigueur, pour dire ce qu'on pense. Les Provençaux en font un autre usage : ils s'abritent derrière eux pour tenter de dissimuler ce qu'ils ressentent. Notamment, qu'ils ont le sens tragique de la vie et que l'idée de mourir un jour leur empoisonne l'existence. Il y a de la pudeur, de la politesse et tout un art de vivre dans leur refus de "parler de ce qui fâche". Les Provençaux passent pour superficiels et légers, alors qu'ils s'étourdissent de leur propre vacarme pour ne pas entendre les battements d'aile du temps qui s'envole inexorablement, pour essayer d'oublier cette angoisse essentielle. La Provence n'existe vraiment que dans ce qu'elle tait. La Provence est un silence partagé. Dans la première partie de cet ouvrage, j'ai rassemblé les contes où la tragédie essaie ainsi de se faire oublier et porte le masque de la jovialité. Mon village de Fontvieille, ma résidence poétique préférée, est devenu le lieu de naissance de mes personnages, et mon pigeonnier, par la même occasion, non pas ma tour d'ivoire mais ma tour de contrôle. Je n'ai pas pris mes distances avec la réalité quotidienne : je me suis installé à un poste d'observation dont je ne cesse de descendre pour me mêler à la vie de tous les jours. Ici, l'indifférence se fait chaleureuse et le désespoir de bonne compagnie. Les romans de la deuxième partie se déroulent en Camargue. La-bas, la passion et la folie ont le droit de se montrer à visage découvert. Ces lieux où la terre et la mer se confondent, où la création du monde n'est pas achevée, font entendre aux oreilles attentives le murmure des civilisations englouties et la sourde explosion des origines. Un jour, peut-être, vous entendrez sous la galopade des taureaux le piétinement sourd des légions romaines en marche. Cela dépend de vous. Mon rôle à moi s'arrête là. J'aurai, du moins, tenté de vous montrer le chemin.