Le Vin bourru
Il y a quelques années, en province, des amis m'amenèrent dans un éco-musée, un de ces villages reconstitués qui se voient un peu partout en Europe. Dans ce faux village, à ma surprise, je retrouvais tous les éléments qui avaient composé mon enfance. J'avais à peine cinquante-cinq ans, mon enfance était au musée et des touristes venaient la visiter. A cette occasion, tout en constatant l'incroyable bouleversement que nous devons à la Deuxième Guerre mondiale, je mesurais pour la première fois la quantité étonnante de choses que l'on m'avait apprises et qui plus tard ne m'ont servi à rien. Car, né dans une culture, j'ai vécu dans une autre. De là mille questions, sur les ruptures, les accélérations, les oublis, les regrets parfois, les passages, les inquiétudes. Sur ce qui nous fait et ce qui nous défait. Sur ce que nous avons perdu, gagné, sur ce qui nous reste. Le Vin bourru était le premier vin que l'on goûtait, au début du mois de novembre. Il était différent d'une cave à l'autre. Il conservait un duvet, une bourre, quelque chose d'inachevé, de provisoire, comme si le vin nouveau-né se protégeait encore contre les agressions du monde. C'est en souvenir de ce vin bourru, et du petit garçon qui le goûtait du bout des lèvres, que ce livre est écrit.