La société d'indifférence

Ce livre a une ambition : dévoiler un mal nouveau, qui sourd depuis deux ans dans une société que l'on avait pu croire agitée d'un désir d'innovation sans précédent, et dévorée d'impatience. L'expérience politique présentée, en mai 2007, comme un élan de modernisation comparable à celui des débuts de la Ve République, en est devenue l'antithèse. Des principes considérés naguère comme inviolables, comme la laïcité, la séparation des pouvoirs, l'égalité de tous devant la loi ou la responsabilité devant le peuple se trouvent allègrement sacrifiés, sans que quiconque y prenne garde, aux exigences du pragmatisme et de l'efficacité. Depuis mai 2007, il a fallu peu à peu s'apercevoir que les libertés publiques elles-mêmes étaient placées sous contrôle ; la crise aidant, le dirigisme latent n'a cessé de s'étendre, transgressant le principe libéral de la séparation des ordres aussi bien dans l'organisation des pouvoirs que dans le champ de la communication et dans le domaine de l'économie. Mais, là où hier grondaient le bruit et la fureur, planent aujourd'hui la confusion et l'atonie. La crise de la représentation politique, le déplacement des priorités de l'opinion vers l'économie et la substitution, faute de mieux, des demandes « sociétales » aux revendications sociales détachent les aspirations du collectif pour les concentrer sur les satisfactions individuelles. L'indifférence avec laquelle l'incohérence du discours officiel et le désordre de l'action publique sont reçus dans l'opinion ne peut laisser indifférent. C'est elle qui fait problème, plus encore que la volonté de puissance du nouveau chef de l'Etat, qui serait sans doute nettement moins préoccupante si elle trouvait en face d'elle une résistance à sa mesure. Mais le pire n'est pas toujours sûr. Bien audacieux serait aujourd'hui celui qui tirerait, du bilan présent de la société française, une déduction linéaire. La Ve République peut mourir des dérèglements actuels, comme elle peut en sortir renforcée.