Homo sovieticus
Produit d'une société communautaire dont les lois et les mécanismes ont été analysés dans le Communisme comme réalité, l'homo sovieticus, en abrégé homocus, caractérise une espèce particulièrement prolifique dans ce qu'il est convenu d'appeler la patrie du socialisme, lieu privilégié où sont mis en pratique depuis soixante ans les principes du marxisme-léninisme. L'Union soviétique, dont les nécessités logiques inhérentes à son propre système exigent qu'elle étende toujours plus son contrôle sur le monde, essaime à travers l'Europe occidentale, terrain d'élection de sa vaste entreprise de conquête, ses armées d'homocus, véritables agents de contamination habilement introduits dans le fruit pourri des vieilles démocraties libérales. Zinoviev dans son nouveau roman se propose de nous retracer l'itinéraire de l'un de ces curieux spécimens. Transplanté dans l'univers d'abondance et de liberté de ses rêves, son héros, subtilement influencé par un "inspirateur" moscovite, découvre avec délice puis écoeurement les "paradis" d'une société de consommation frileusement confinée dans le confort hypocrite de ses utopies socialisantes. Il côtoie dans la pension qui l'héberge tout un petit monde de l'émigration haut en couleur dont les commentaires goguenards et les réflexions critiques démythifient les beaux principes sur lesquels l'Occident satisfait prétend asseoir son autorité morale et fonder sa conduite politique. Chacun des protagonistes de ce récit corrosif, véhicule volontaire ou inconscient de l'épidémie soviétique, dresse à sa façon l'implacable réquisitoire de notre tragique aveuglement. Les services secrets occidentaux eux-mêmes accueillent avec perplexité, voire incrédulité, les propos volontiers déroutants de notre homocus qui finira par renoncer à son désir de les éclairer. L'évidence est, hélas, l'une des choses les plus mal partagées. Conscient d'être lui aussi un homocus, Zinoviev aime et déteste, respecte et méprise ce qui constitue en fait l'essence même de son être. En brossant le portrait de l'homme soviétique, il projette en réalité par contraste notre propre image. Nous sommes tous des homocus en puissance. Jugez-nous, dit-il, car vous serez jugés par nous.