La vengeance de la pelouse
Aucun autre livre de Brautigan n’est aussi chargé du lyrisme des souvenirs d’enfance, ni aussi marqué de cette sereine fraîcheur, exempte de toute complaisance, dont il est toujours tant loué. Si, en un autre temps, Brautigan rêvait de finir sur le mot mayonnaise, c’est un accompagnement aigre-doux qu’il paraît nous servir ici. Car ces soixante-deux courts textes, qu’on hésite à appeler nouvelles, sont autant de petites victoires sur les ruses du sort et du temps, et sur soi-même, une succession d’instants privilégiés où l’étrange impassibilité du conteur réalise l’alliance tranquille du malheur et de la blague, jusqu’à ce que telle révélation finale, en forme d’envoi, dissipe l’apparente légèreté du rien, une manière de réconciliation, enfin, avec ses propres amertumes, avec une société américaine en échec, avec l’absurde et le dérisoire de tout l’univers.
L’œuvre de Brautigan avait débuté par plusieurs recueils de poèmes, à San Francisco, à la fin des années 50, aux orées de la Beat Generation. Avec la Pêche à la truite vint le succès. Enorme. Ainsi s’enclencha la mécanique qui devait réduire son auteur à une figure culte, un personnage en papier-mâché.
Richard Brautigan s’est suicidé en octobre 1984.