Romans II : Piazza d'Italia - Pereira prétend - La Tête perdue de Damasceno Monteiro
«...Globalement, je crois que le roman est devenu une forme littéraire figée, momifiée. Le XIXe siècle a donné des oeuvres magnifiques mais on ne peut plus faire pareil. Dorénavant, il faut ouvrir les fenêtres, aérer le grenier-à moins que ce ne soit le musée-et tout faire entrer pêle-mêle : la poésie, le théâtre, le journal intime, le récit, tout ce que vous voulez... Et ce n'est pas une idée en l'air. Le Portugais Fernando Pessoa l'a fait. Il a inventé au début du XXe siècle une nouvelle forme romanesque. C'est grâce à lui d'ailleurs que je suis devenu écrivain. Je l'ai découvert en 1962 - j'avais dix-neuf ans ; à une époque où toutes les post-avant-gardes européennes ne juraient que par la mort du roman. Il m'a donné confiance en moi, il m'a permis de croire qu'il était encore possible d'écrire...
Aujourd'hui, c'est le moment de construire. Aussi douteuse, aussi boiteuse et aussi incertaine que soit notre confiance en l'homme. Même si la contribution est modeste parce que nous vivons le temps des allumettes après celui des grands embrasements. Moi, si je réussis à éclairer un pan d'obscurité avec une petite flamme, cela me suffit. Cela fait vingt ans que j'écris et vingt ans que je pense mon travail en ces termes. Si je ne croyais pas en mon lecteur, si je ne rêvais pas de son âme jumelle à la mienne, qu'elle vive à Paris ou à Bangkok, croyez-vous que j'écrirais ? Non, je resterais enfermé dans mon village et je mangerais des pâtes.»