Un sacrifice italien
Ils se croisent une première fois à l'occasion d'un match de football qui oppose les équipes de tournage de 1900, le film de Bernardo Bertolucci, et celle de Salò ou les 120 journées de Sodome, et leur dernière rencontre a lieu sur une plage d'Ostie, le 2 novembre 1975, lorsque le réalisateur est assassiné.
Mais Pasolini a-t-il vraiment été assassiné ou plutôt « suicidé » à sa propre demande ?
C'est là un des nombreux mystères italiens jamais éclaircis, point de départ d'une magistrale oeuvre chorale qui dresse le portrait d'un pays, l'Italie, et d'une époque, les années soixante-dix, au travers des événements qui les ont secouées : le terrorisme des années de plomb, les scandales politico-financiers, l'accident d'Ustica, le tremblement de terre en Irpinia, jusqu'à la victoire italienne lors de la coupe du monde en Espagne, en 1982.
Un roman à la beauté tarkovskienne, accueilli avec enthousiasme par la critique italienne, qui voit en Alberto Garlini l'un des auteurs les plus importants de sa génération. Un sacrifice italien est surtout un extraordinaire portrait de Pasolini, qui évoque sa jeunesse à Casarsa della Delizia, le petit village frioulan où il est né, la figure de son frère adoré Guido, tué à Porzûs par un groupe rival de la Résistance, ses amours de jeunesse et le pressentiment d'un destin tragique, et aussi sa carrière cinématographique et la figure de l'intellectuel engagé.
Alberto Garlini s'est fondé sur les écrits de Pasolini, en particulier sur les poèmes frioulans et les écrits politiques, mais aussi sur ses films, dont le terrible Salò ou les 120 journées de Sodome, qui reste son testament, fortement empreint de culture française, Sade bien sûr, mais aussi Barthes, Blanchot, Klossowski et Sollers. Mais l'hypothèse qui est au coeur du livre et que les différents procès n'ont jamais pu écarter complètement, est à la fois discutable et plus vraie que la vérité : Garlini imagine que Pasolini a commandité son propre assassinat, pour se sacrifier, pour être une sorte de bouc émissaire girardien en mesure de racheter les crimes et les péchés de son pays.
Une hypothèse qui donne un considérable élan narratif au roman. Face à lui, le footballeur Francesco Ferrari est un personnage de pure fiction, mais chez qui on peut reconnaître les traits de nombreux footballeurs bien réels, y compris ceux de Michel Platini. Francesco est un génie qui aime le beau jeu et se laisse pourtant entraîner malgré lui dans le scandale du Totocalcio, les paris truqués, qui lui coûtera sa carrière. Ancien mineur, la silicose l'emporte en pleine jeunesse, quelques années après qu'il a assisté à la mort de son ami Pier Paolo. Lui aussi victime sacrificatoire, Francesco rappelle un autre saint plus célèbre, saint François d'Assise, dont il suit les traces, incarnant comme Pasolini le péché et le salut, le génie et le sacrifice, la pourriture et la beauté.En quelques mots :Un sacrifice italien est l'histoire d'une rencontre, celle de deux hommes, Pier Paolo Pasolini, poète, intellectuel et cinéaste, et Francesco Ferrari, jeune footballeur de génie, tous deux disparus trop tôt. Deux hommes qui illustrent chacun un chemin vers une forme moderne et laïque de sainteté.