Explorateurs de l'abîme
Avec Explorateurs de l'abîme, Enrique Vila-Matas renoue avec un genre qui a largement contribué à son succès : le texte court, la nouvelle. On pense aux nouvelles délirantes et échevelées d'Enfants sans enfants sans pourtant pouvoir dire que ce livre en est le prolongement narratif. C'est qu'entre-temps Enrique Vila-Matas a écrit des romans au long cours, dont le dernier Docteur Pasavento explore le thème de la disparition qui se retrouve au coeur d'Explorateurs de l'abîme, mais orchestré différemment.Comme le titre le suggère, le livre entier explore, décrit, analyse l'abîme sur lequel se penchent un certain nombre de personnages cocasses dont le dénominateur commun est de se situer aux limites de la condition humaine sans pourtant faire le pas fatal et se jeter dans le vide. Vila-Matas nous invite, entre autres, à suivre la piste de Maurice Forest-Meyer, un équilibriste qui ressemble beaucoup au funambule Philippe Petit, celui qui a marché entre les tours jumelles de New York quand elles étaient en construction. Cet homme « traverse le livre comme un ombre qui joue le rôle d'un fil fantomatique. » Il se promène à travers les différents récits, faisant de minuscules apparitions, accompagné par sa femme, borgne. « Peut-être que l'histoire qui ne se raconte pas dans le livre est là. » Un autre récit raconte l'histoire d'un faux explorateur de l'abîme, parce que « dans ce livre d'explorateurs il devait y en avoir un de faux » suggère Vila-Matas.L'on retrouve par ailleurs l'atelier de Vila-Matas (que signifie le retour à la nouvelle et l'abandon du roman ? Qu'est-ce que le risque en art ?), mais aussi du fantastique, de la science-fiction, de l'utopie et une extraordinaire histoire en boucle tissée avec la plasticienne Sophie Calle, de l'humour et du tragique, ou plutôt du tragique humoristique, mais pas de réalisme, dont Vila-Matas connaît fort bien les ravages qu'il a pu faire sur la scène littéraire espagnole. Chaque nouvelle constitue une sorte de prolongement de la précédente (le vide, la disparition, l'abîme, l'au-delà) avec laquelle elle rompt cependant, ne serait-ce que par le ton. Mais toutes déclinent la réponse que donne le narrateur du Départ de Franz Kafka à son valet : « Loin d'ici, voilà mon but ! »