Contes des mille et une faenas
" Adolescent, je rêvais d'un musée imaginaire consacré à la corrida, où je confronterais les styles et les carrières des artistes marquants en une vaste rétrospective. Depuis plus d'un demi-siècle, fidèle à cette passion de toute une vie, je tente de les unir dans une geste où le les donne à voir et à entendre avec l'essentiel de leurs espoirs et de leurs souffrances, la fièvre des triomphes et aussi le sang des blessures. Beauté tauromachique si précaire et si menacée où l'homme dit son mystère grâce à une bête sauvage avec laquelle il noue la plus étroite connivence : leurs deux sensibilités se conjuguent, et l'un doit mourir au bout d'un quart d'heure pour ne pas tuer. Dans l'étreinte du fauve, l'accord rythmique suspend la menace. La plus inventive des chorégraphies naît du danger et compose à partir de lui une suite musicale qu'elle intègre dans ses pas de deux. Bien que toute-puissante sous le splendide aspect d'un taureau de combat, la mort, provisoirement soumise, voire complice, permet à l'homme d'être reçu dans une sorte de frange de la vie, assimilable à l'idéale distance que foule Manuel Benitez El Cordobés entre les cornes, le sitio où étancher notre soif de l'inconnu. Savourons sans a priori, sans idée préconçue, ces instants privilégiés où un Eros rayonnant fait reculer Thanatos - à chaque torero sa méthode et son art-, laissons-nous surtout enchanter et, avec un peu de bonheur, célébrons cet enchantement. " J.-M. M.