Va au Golgotha
Première publication : Julliard/L'Age d'Homme Soviétique parmi les Soviétiques, ivrogne parmi les ivrognes, amateur de "bouis-bouis" minables et d'interminables palabres, Ivan Laptiev ne se détacherait guère du commun des mortels d'URSS ni de l'ensemble des personnages zinovieviens, s'il n'était... Dieu, tout simplement. Car cela ne fait aucun doute : bien que profondément athée (Dieu croit-il en sa propre existence ?), Laptiev est Dieu. Il l'affirme haut et clair au début du récit, et, dès lors, ne va cesser de marcher sur les traces de son illustre prédécesseur : le Christ. Comme lui fondateur d'une nouvelle religion, Ivan Laptiev enseigne, prêche, parle en paraboles, accomplit des miracles. Mais les temps ont changé. L'époque du Christ est bien loin ; le héros vit à l'ère du communisme. Les miracles qu'il accomplit sont à la mesure de son temps, de la société qui est la sienne : une société profondément apathique, matérialiste, une société au-delà des passions, donc du désespoir. Laptiev, comme le Christ, a le pouvoir de guérir ceux qui ont foi en lui. Mais quels maux guérit-il ? Le bégaiement, l'obésité, l'impuissance. Laptiev et sa religion ont un redoutable adversaire en la personne de l'Antipode : l'idéologie. Religion et idéologie s'assignent le même rôle, les mêmes fins à l'égard des hommes. Mais, moins exigeante, plus étouffante donc plus rassurante, l'idéologie semble avoir toutes les chances de remporter le combat. Ivan Laptiev a cette prétention suprême : être le fondateur d'une nouvelle religion, s'identifier au Créateur. On ne la lui pardonnera pas. Comme le Christ, il est d'abord reconnu et loué pour ses pouvoirs miraculeux. Comme lui, il fera une entrée triomphale à Jérusalem (Moscou), mais bientôt viendront le baiser de Judas, le procès, la longue marche vers le Golgotha. Pourtant, autre signe des temps, le Golgotha, cette absolue reconnaissance en forme de châtiment, lui sera refusé. Notre époque ne tue plus le Christ, elle tue Dieu dans le Christ. La différence est de taille. Tragique et cocasse, poétique et trivial, tourmenté et limpide à l'extrême, athée raisonneur jusqu'à la moelle des os et spiritualiste jusqu'au tréfonds de l'âme, Zinoviev offre ici au lecteur une méditation d'une rare qualité.