Johnny
Johnny, le roman-western de Catherine Soullard, possède le pouvoir féerique de faire renaître le même mirage plusieurs fois de suite sous nos yeux. A partir d’une silhouette de cow-boy à cheval surgissant du fond du désert sur la route d’Albuquerque parmi les rafales de vent…
C’est le mirage d’une légende célèbre qui revient. Celle de Johnny Guitar que nous avons tous aperçu pour la première fois dans le film mythique (1954) de Nicholas Ray.
Autour de la relation triangulaire entre Vienna, Johnny Guitar et Dancing Kid. Voilà qu’elle reprend sous la plume légère et envoûtante de Catherine Soullard, cette histoire, mais dans un suspense encore plus étiré qu’à l’écran. Qui nous fait soudain entrevoir entre les coups de feu, les face-à-face tendus à l’extrême et les gestes furtifs… l’acuité d’un désir amoureux éternellement hors de portée. Éternellement au-delà des horizons et des destins. Au point qu’il nous conduit peu à peu dans le hors champ, là où la caméra semble tout à coup se retourner vers la narratrice comme un miroir-revolver pour sonder les reflets changeants de son identité. Car à force de se repasser en boucle les images de Johnny, voilà qu’elle cède peu à peu à une sorte de sentiment de déjà vu, effet probable de l’hypnose où les personnages du film deviennent réalité. Comme si elle se mettait à ouvrir les yeux à son tour et à saisir une part de son histoire enfouie : sa propre mère, si renfermée, si belle mais si froide, sa propre mère est une autre Vienna. Elle revoit tout à coup ses cigarettes marqués de rouge qui sentent Jicky, Vol de Nuit et Chamade, et son air rembruni comme cuit au soleil d’une attente invisible. Elle revoit ses gestes, elle remonte le film de sa vie à l’envers. Jusqu’au jour où sa mère lui révèle tout à coup à bout de force sur son lit d’hôpital le secret qui la ronge : cet homme qu’elle aima désespérément dans sa jeunesse pendant les années quarante, mais qu’elle ne revit jamais, quand il partit pour l’Indochine, cet homme restera à jamais son Johnny. Le personnage de film est donc devenu personnage de roman, à ceci près que le roman raconte une histoire vraie. Une histoire d’amour brisé qui revient par spirales sur la guitare de Catherine Soullard comme s’il s’agissait d’une ballade très ancienne, d’une ballade qu’on se fredonne en chemin et qui s’arrête tout à coup. Quand une balle touche le Kid en plein front, l’homme invincible accouru, les bras grands ouverts, pour celle qu’il a toujours aimée en vain. Quand la narratrice comprend quel absence d’amour la relie pour toujours à cette Vienna au cœur détruit.
De l’imaginaire érotique de Johnny, Catherine Soullard a tiré une superbe chanson de geste dont la narration, aux réminiscences étroitement entrelacées, porte les vagues et les soupirs.