Je vole
Un homme divorcé et au chômage comme tant d'autres, est autorisé à voir sa fille une fois par semaine, le dimanche. Il se fait un bonheur de ces quelques heures que lui octroie chichement la société, et partage un important secret avec sa fille : tous deux ont la faculté de voler. Ils grimpent sur une éminence- une dune, une colline, une rue très en pente- et redescendent en volant, leurs bras écartés leur servant d'ailes. Mais le vol est pour les rêves car la vie du narrateur va de dégringolades en dégringolades. Comptable au chômage parvenu en fin de droits, il est contraint d'accepter un poste de technicien de surface, c'est-à-dire de balayeur. C'est la honte, pire la déchéance. Il se sent vieux et incapable désormais. Son ex-femme le méprise, sa maîtresse ne l'aime plus et le chasse de chez elle ; sa vieille mère impotente refuse de lui prêter de l'argent. Alors, parvenu à bout, n'ayant plus rien à espérer, broyé par la société, il décide de s'envoler à jamais avec sa fille.
Le thème de la déchéance sociale insidieusement progressive du chômeur n'est pas nouveau- La description classique du processus qui entraîne la dégringolade d'un homme dans la misère non plus. Mais Mathieu Belezi raconte ici ce fait devenu hélas presque anodin, en tous cas quotidien dans notre société, avec tant de drôlerie pudique, de distanciation dans le récit et en même temps un pathétisme sans pathos que le lecteur ne peut pas ne pas être ému par le sort de cet homme. La dégringolade existentielle est dure, elle ne laisse place à aucune consolation et cependant le désespoir n'est jamais fatal parce qu'il reste la possibilité de "s'envoler", c'est-à-dire de rêver, c'est-à-dire d'échapper au pire. De rêver à mort peut-être, comme la fin le laisse entendre, mais le réalisme tragique de ce destin ne se prend jamais au sérieux bien qu'il le soit. Et le tour de force de Belezi est d'être parvenu à incarner son personnage par de petits détails très humains.