Critique de l'anxiété pure
«[...] Autant éclaircir ce point dès maintenant : le Tracas vit sur l'homme, et il se reproduit sur lui. J'en connais d'aucuns qui conçurent l'idée de déposer leurs tracas sur une bête de somme, un âne, un boeuf. Cette technique fonctionne bien pour les farines, les raisins et les olives, en aucun cas pour les tracas qui ont tôt fait de se rabattre en hâte sur leur hôte légitime, l'Homme, auquel ils sont névrotiquement attachés. Avouons que ce n'est pas de veine. Je crois bon d'indiquer ici que l'origine du Tracas est très ancienne. De magnifiques échantillons, englués dans l'ambre fossile en compagnie des moustiques, ont pu être datés de quatre millions d'années. C'est ainsi que la genèse des tracas, leur évolution darwinienne, leur portage, leur maniabilité, constituent une thématique carrément fascinante. Et que vous aimeriez que je développe plus avant. Mais non. Car ce n'est là qu'une approche timorée, une dissertation d'intellectuel dont je m'éloignai pour un but nettement plus audacieux : organiser la révolte, faire exploser le balluchon des tracas, l'anéantir, le réduire en cendres, le pulvériser, le fracasser, planter sa tête au bout d'une pique. Exactement.»