Un monde de salauds souriants
En délicatesse avec le monde, lucide mais paralysé, Lucas s’est réfugié dans sa chambre, comme à un intenable poste d’observation à équidistance du gouffre et du réel. Mélanie, à l’inverse, navigue au cœur de la vie qui s’invente, trimballe son microscope instinctif à la lisière des marges et, de fêtes en manifs, carbure à la colère, surfe la précarité. Michel, chirurgien esthétique de la génération fric, a bâti son empire sur les fragilités des autres. Face aux exigences exponentielles de la société, il adapte sa pratique à toutes les déclinaisons de l’augmentation de soi.
Trois personnages en forme de symptômes de l’époque, trois solitaires qui cristallisent chacun une réaction épidermique aux dérives et aux injonctions contemporaines. Trois humains aux prises avec les tentacules du capitalisme autocrate et qui, conscients de ses impasses, cherchent la meilleure façon de ne pas marcher dans la combine.
Une énergie sauvage, un rythme tout en accélération qui nous plonge à la fois dans le crépitement de notre temps et dans le labyrinthe sous pression de la psyché de ses protagonistes : c’est peut-être d’abord cette combustion qui frappe dans "Un monde de salauds souriants", roman au sourire de travers et à l’humour navré mais irréductible. Thomas Rosier y exerce une empathie désarmante et une résistance au désenchantement inespérée.