Chair et langage: Essais sur Merleau Ponty
Les dix essais réunis ici, dans un ordre non chronologique, s'échelonnent sur une vingtaine d'années et dessinent le tracé d'une lecture de l'oeuvre de Merleau-Ponty dont le principal objet est de faire apparaître l'originalité de sa position dans le « mouvement » phénoménologique, dans lequel il se situe, comme Eugen Fink et Ian Patocka, « entre » Husserl et Heidegger. Il s'agit, en suivant l'évolution de la pensée de Merleau-Ponty, de la Phénoménologie de la perception à la dernière oeuvre inachevée, Le Visible et l'Invisible, de montrer l'interpénétration de deux thématiques fondamentales, celle de la corporéité et de la chair, qui lui vient de Husserl, et celle du langage et de l'expression, qui le conduit dans une proximité toujours plus étroite avec Heidegger. C'est, comme tente de l'indiquer le premier des textes recueillis ici, « Chair et langage », l'alliance de ces deux thématiques, propre à Merleau-Ponty, qui, immédiatement après sa mort, s'est vue abandonnée dans le paysage philosophique français, au profit d'une pensée de la structure abstraite ou de la déconstruction de la présence qui prétend laisser derrière elle, comme un stade dépassé, la phénoménologie.
Mais pour Merleau-Ponty, la phénoménologie n'est nullement une simple propédeutique à la philosophie. Elle est au contraire la philosophie même. Et pour lui, l'ontologie elle-même n'est possible que comme phénoménologie, au sens où l'être dont elle traite est le monde lui-même et non l'au-delà de celui-ci.
Abandon de la position de survol de ce spectateur transcendantal qu'est encore le phénoménologue pour Husserl et réhabilitation ontologique du sensible : tel est le programme de la phénoménologie merleau-pontienne, dans la mesure où elle implique une « ontologie du visible », qui n'est elle-même possible que parce que le visible n'a pas la positivité d'un être plein, parce qu'il est « ambigu », et qu'il y a ainsi une ouverture de la phénoménologie sur l'invisible, quelque chose comme une « phénoménologie de l'inapparent », semblable à celle dont se réclamait Heidegger dans un de ses derniers séminaires.