Alexandre Vialatte: n° 1109-1110 septembre octobre 2021
L'idéal d'Alexandre Vialatte (1901-1971) était d'être « sobre, rapide, dense comme le marbre, aérien comme le papillon ».
Sans oublier l'humour : « Il m'a toujours semblé, écrivait-il, qu'il y a une parenté entre les plus hauts moments de l'art et les raccourcis saugrenus qui déclenchent le rire. » Par bonheur, son humour est aux antipodes de celui des amuseurs patentés. Il est fait de précision, de rapidité, de poésie et d'apparente incongruité. « Je ne vois pas ce qui n'est pas fantaisie, à commencer par la réalité », écrivait-il à son amie Ferny Besson. Même le tragique est traité chez lui avec le décalage du rire, cette politesse du coeur.
Traducteur précoce de Kafka dès sa découverte du Château au milieu des années vingt, Vialatte considérait que le véritable artiste « est celui qui crée son monde, un univers à lui qui ne date que de son oeuvre ». Il disait aussi : « Écrire, c'est courir après un sujet qui vous échappe, courir jusqu'au bout du vent. Mais où est le bout du vent ? »...
Dans ses romans comme dans ses chroniques, le chatoiement de l'écriture de Vialatte vient souvent d'un jeu de lumière dans l'ironie, qui en fait varier l'intensité. Férocité, dérision et tendresse se superposent dans le plissé de la phrase de cet écrivain qui a su éviter la lourdeur du sérieux pour dire des choses graves.
Romans, essais, récit de voyage à quatre mains, livret d'opéra, l'oeuvre de Tanguy Viel affirme sa cohérence à travers des cheminements et des dispositifs singuliers : c'est une attention, toujours vive et inquiète, à la puissance des formes. Le souci formel n'est pas pour cet écrivain cinéphile une manière de styliser après coup le monde, mais l'impulsion même de sa découverte et de sa saisie. Une ligne de basse parcourt son oeuvre : la mélancolie. C'est elle qui donne une couleur à ses livres, empruntant volontiers au film noir ses codes, son atmosphère et sa tension. Cette mélancolie relève aussi d'un sentiment générationnel, celui de venir après : après l'époque lumineuse du récit sans ombre, ni soupçon ; après les expérimentations formelles et leurs dispositifs inventifs ; après le temps des idéologies du progrès et de la confiance dans l'Histoire. L'écrivain travaille avec ces ruines, les collectionne pour mieux leur redonner mouvement et énergie.