L'Economie politique, N° 51, juillet 2011 : Léon Walras : un hétérodoxe rejeté
Pour les tenants actuels de l'orthodoxie, un bon économiste est quelqu'un qui publie des articles en anglais dans des revues jugées de prestige et montre une capacité à bâtir des modèles abstraits, à l'élégance mathématique reconnue, où il est fait l'hypothèse que les marchés obéissent en permanence à des forces équilibrantes. Si vous avez le malheur de penser que les mathématiques ne sont qu'un simple outil, qu'il faut tenir compte des rapports de force présents dans toute activité économique, ou bien si vous voulez mobiliser l'histoire, la science politique ou la sociologie pour expliquer les phénomènes économiques et que vous êtes prompt à souligner la tendance des marchés à déraper, alors allez chercher du travail ailleurs ! La vision dominante l'est d'autant plus qu'elle tient les institutions clés de la reproduction des économistes (revues, agrégations, financements...) et empêche d'autres voix de se faire entendre, au détriment du débat démocratique sur les questions économiques et au prix d'une perte de légitimité des économistes, qui ressortent éreintés par les crises financières, économiques et sociales dont leurs théories disaient qu'elles n'étaient plus possibles ! Ce comportement semble être une constante du champ économique. A la fin du XIXe siècle, le débat était dominé en France par une école issue des travaux de Jean-Baptiste Say qui, de la même façon, contrôlait tout : revues, enseignements, postes de prestige, sociétés savantes, etc. La victime principale en a alors été Léon Walras. Aujourd'hui considéré comme l'un des pères fondateurs de la "science" économique actuelle, ses mathématiques et son socialisme l'avaient alors conduit à être rejeté comme un vil hétérodoxe qui ne méritait pas le débat. Les économistes ne pourraient que gagner à accepter leurs différences.