La Fille et le Moudjahidine
C'est l'histoire vécue de deux jeunes gens qui se rencontrent, par un jour caniculaire, sur les bords d'un lac berlinois. Elle est française, plutôt féministe, allergique au mariage et à la misogynie de tous bords. Lui a la petite vingtaine, un accent russe à couper au couteau et se présente comme un champion d'art martiaux. Nous sommes en juin 2013. Le parcours de ce type baraqué et lumineux éveille immédiatement la curiosité de la journaliste Prune Antoine. Il y a dix ans, Djahar a dû fuir le Caucase Nord où il est né et traverser l'Europe en clandestin à cause d'une vendetta lancée contre son père par les séparatistes moudjahidines. Avec sa famille, il s'est retrouvé demandeur d'asile dans une ex-RDA marquée par la pauvreté et le racisme. Une décennie que le jeune homme, entre scolarité ratée, combat de haut niveau et petites magouilles, cherche à se faire une place dans cette société où il ne se reconnaît pas. Ce qui frappe Prune Antoine au cours de leurs rencontres suivantes, c'est son engagement religieux qui ne cesse de grandir, comme en écho à l'actualité internationale qui s'accélère. L'islam salafiste imprègne de plus en plus sa vie, occultant ses petites copines ou son apprentissage. Sa radicalisation "à la carte" et online ne va pas sans interrogations : Djahar doute très souvent de son avenir, comme de sa foi, difficilement soluble dans la pop culture occidentale. À l'été 2014, endoctriné par les vidéos de propagande de Daech et les prédicateurs d'Internet, Djahar ne rêve plus que d'une chose : partir en Syrie, faire le djihad et devenir « un bon musulman ». Au-delà de l'enquête en temps réel, Prune Antoine, qui s'est immiscée dans le quotidien de Djahar, à l'instar d'une amie, nous livre le récit saisissant d'un jeune homme sur le fil, à la recherche de repères. Perdu quelque part entre sa région d'origine et son pays d'adoption, coincé entre deux modèles, il hésite entre les brutales promesses de l'islam radical et une intégration en dent-de-scie. Djahar incarne les violentes contradictions d'une nouvelle génération d'aspirants moudjahidines, nés ou grandis en Europe, à la fois hyper-connectée et totalement déconnectée de la réalité.