Un puits de haut silence
Poésie est silence. Elle fait silence dans les mots. Ses vocables, proférés en esprit et en gorge, creusent des trous, des blancs béants, dans le brouillard adipeux du bavardage ordinaire. Cailloux lisses ou anguleux qui se cognent aux parois en ricochant, qui glissent, coulent et roulent et ne trouvent pas de fond. Rendre à la parole sa rondeur massive, son poids rugueux et imprescriptible, sa densité charnelle, charnue, c´est remettre les mots à égalité avec les choses, avec le monde. Chaque fois que prend le chant, ça s´origine dans le présent du chant : commencement où il y a naissance. En vérité, nous ne cessons de naître, le seul instant qui nous soit disponible et mesuré étant l´actuel, unique. Tel est le mystère de notre incarnation, cette naissance continuée dont l´éclosion est, à chaque jaculation, proprement incalculable. Point, germe, élément, arc sifflant la mort, lyre vibrant la vie, boue, fer et ciment, étoile, source : « Naissance reste cela même qui ne cesse de venir ». Un panneau de Jérôme Bosch, que je découvris au Palais des Doges, à Venise, présente par un jeu de cercles clairs et concentriques, nettement décentrés pourtant, l´ascension, comme en un puits de lumière, des élus vers l´Empyrée. Le plus saisissant toutefois est qu´ils paraissent tout aussi bien tomber que monter ! Et il faudrait forger une notion de portée métaphysique qui serait un «tomber-monter» où le sens de l´espace-temps se reverse en une unique leçon de lumière.