Le son et le sens - à la mémoire de Ian Curtis
Les textes qui suivent furent écrits, pour le dire crûment, dans la ferveur de l'analyse, car n'en déplaise à nos anti-intellectuels sensualistes et nationalistes, il y a de la joie et du plaisir à non pas, comme ils l'imaginent, décortiquer des faits pour ainsi dire morts dans nos bras et sonder les âmes mortes, mais à accueillir l'énigme vivante qui s'avance vers nous, dans la nudité de notre coeur. La mise à nu réciproque peut commencer. Être au coeur de l'événement, voilà l'illusion consolante que ces textes combattent pied à pied. L'événement n'a ni coeur ni reins. Il faut en finir avec l'organicisme romantique. Seul le texte est un corps vivant, un corpus inachevé, inachevable qui se ramifie sans cesse. C est l'image du fleuve qui s'impose, à cette nuance près que la complexité propre aux deltas le moment paradoxal où les intuitions les plus fortes tendent à se nouer en savoir positif on ne la ressent pas en fin de lecture mais dès l'attaque furieuse des premières lignes, chaque source n'étant ni un fleuve en miniature ni une énergie isolée, mais un moment du complexe hydrographique qu'est le texte en son entier. Le livre provisoirement achevé, l'auteur se dit: voilà où le voyage m'aura donc mené. Il ne remonte pas le fleuve jusqu'à son hypothétique source, mais, ravi et confiant, éprouve dans son corps de lecteur une pulsation régulière, un regain de curiosité pour le chemin parcouru et une furieuse envie de poursuivre la route, toutes sensations qu'il ressent être son monde désormais, ouvert à présent sur la nudité fraternelle du coeur d'autrui «toujours plus grand que nous». Le cas régime qui anime l'altérité vivante a tourné en salut adressé à l'ami inconnu. C'est alors l'amitié du monde qui se dessine tant pour le lecteur que pour l'auteur qui ont en partage l'énigme vivante que constitue tout entier le monde dans lequel ils vivent.