Le double, emblème du fantastique
Le fantastique, démarche poétique qui fait confiance à l’imaginaire pour interroger une réalité qui se creuse et laisse entrevoir d’autres réalités est une catégorie esthétique, dont le double constitue la figure la plus représentative au point de le définir. Le texte fantastique déstabilise le lecteur en surimposant, le monde du même, celui du quotidien, et des cadres de référence qui déstabilisent tous ces principes, le monde de l’autre. En effet, quelle figure peut représenter davantage cette subversion du réel que le double qui représente l’aporie du deux en un ? Le moi en proie au double ne peut « se voir » sans être accompagné par l’autre.
Portant sur des œuvres d’écrivains hantés par le double, cet essai montre comment, au cours du temps, le fantastique change de visage dans l’Allemagne post-romantique, l’Angleterre victorienne et l’Argentine cosmopolite du XXe siècle.
Ainsi, E. T. A. Hoffmann fait s’interpénétrer monde extérieur et intérieur entraînant le lecteur dans un malstrom de doubles, rien n’étant tout à fait identique à soi-même dans son roman Les élixirs du diable. Chez Henry James, il s’agit d’avoir accès par le double à une partie cachée de la personnalité, (« Le coin plaisant »). Chez Jorge Luis Borges, créateur de mythologies à partir de mythes anciens ou de mythes personnels (« Le sud »), le double tient de la mystification érudite, il se cache derrière un personnage. Ces auteurs, qui empruntent de nouvelles voies, utilisent le fantastique pour en faire une des plus hautes manifestations de la littérature.