Poétiques de l’affect
Le présent ouvrage a pour objet la poésie britannique du XVIIIe siècle, soit les oeuvres de Blair, de Young, de Yearsley, de Thomson, de Collins, de Gray, des frères Warton, de Cowper, de Crabbe et de bien d'autres encore qui menèrent l'idiome poétique de la verve acrobatique de Pope à la profonde intensité de Wordsworth. Reflet d'une évolution remarquable des modalités expressives, ces oeuvres s'enracinent dans un contexte historique riche qui devait les façonner irrémédiablement. Ce contexte, c'est celui d'un développement véloce, d'une croissance vertigineuse, tant sur le plan sociétal (relative stabilité politique, conscience nationaliste affirmée, expansionnisme territorial, émergence des grandes villes industrielles au détriment des campagnes...) qu'intellectuel (progrès des sciences expérimentales, développement de la philosophie empiriste, intérêt grandissant pour les mystères de la subjectivité et la condition d'être-au- monde...), et qui suscita chez les poètes de l'époque une véritable effervescence créatrice. Quand elle s'intéresse à cette période foisonnante, la critique littéraire souvent hésite et peine à théoriser. À l'évidence, ces poètes n'appartiennent plus totalement à l'ère augustéenne, pas plus qu'ils ne possèdent l'assurance égotiste des grands romantiques qui devaient leur succéder. Comment les définir et les appréhender ensemble ? Dans un souci de cohérence et de synthèse, l'auteur de la présente étude a fait le choix de mener le lecteur à travers ce corpus disparate en articulant trois notions-clés: le moi, la réalité abyssale de la subjectivité, le monde au contact duquel le sujet se nourrit, et les mots qui cristallisent ce rapport unitif dont le XVIIIe siècle aura mis au jour les implications dans les domaines conjoints du sentir, du penser et du créer. À plus d'un titre, l'artefact poétique s'avère donc être le fruit de l'affectivité. C'est bien ce que nous révèlent les grandes oeuvres du préromantisme anglais.