Oeuvre poétique complète
Anna de Noailles a écrit une oeuvre poétique à l'écart de toutes les tendances de son époque. Ses poésies inclassables évoquent à la fois l'Occident et l'Orient, l'Antiquité et la modernité, la tentation épicurienne et l'idéal stoïque du dépassement de soi.
L’édition d’une oeuvre introuvable pour combler ce vide éditorial du premier tiers du XXe siècle, cette étrange lacune de l’histoire littéraire.
Ni (néo-)romantique malgré les apparences, ni parnassienne, ni symboliste, malgré les in uences de ses lectures et de son entourage, à l’écart du dadaïsme et du surréalisme qu’elle ne comprend pas et dont elle se mé e, Anna de Noailles construit ni plus ni moins que son propre espace poétique. Elle est d’ailleurs pleinement consciente de sa différence, d’un décalage et même d’un fossé qui n’a cessé de se creuser avec ses contemporains. Si inclassable soit-elle, François Mauriac évoque néanmoins deux modèles, Pascal et Hugo ("C’est votre gloire madame qu’on ne vous puisse donner d’autres ancêtres que ces demi-dieux").
Mais il corrige aussitôt, car même si "l’art de Mme de Noailles est dans la tradition romantique", son romantisme "n’est pas le romantisme chrétien de Lamartine ou de Hugo, c’est un romantisme païen,
dionysiaque".
Anna de Noailles se place au carrefour de plusieurs univers: l’Occident qui l’a vu naître et grandir, et l’Orient des origines (la Grèce, la Roumanie des racines familiales); le monde de l’Antiquité revisitée et le
monde moderne du progrès et de la vitesse. Elle est tiraillée entre les tentations épicuriennes d’un présent fugace et un idéal stoïque de dépassement de soi. Hantée par la mort, consciente de la fragilité humaine, elle a le pressentiment de l’éternité dont elle offre un avant-goût au lecteur: le Carpe diem inscrit sur le fronton du temple de la poésie est prolongé par un implicite et personnel Carpe aeternitatem qui passe par la connaissance de soi. Anna de Noailles reprend le ambeau d’une longue tradition qui fait du poète cet intermédiaire entre deux mondes, celui des hommes et celui des dieux, à la frontière entre les vivants et les morts, écartelé entre plusieurs lieux, au carrefour du passé, du présent et de l’avenir.