L'Ame atomique
L’âme : "Nous nous croyons modernes en bannissant ce mot de notre vocabulaire", écrivent Hocquenghem et Shérer dans cet essai fondateur, paru pour la première fois en 1986 et réédité aujourd’hui avec une préface inédite de René Shérer. Pour les auteurs, membres éminents du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire), il s’agit de réhabiliter la sensibilité baroque et plus précisément la question de l’âme, enjeu d’une "esthétique d’ère nucléaire", d’un romantisme crépusculaire. Si l’idée d’âme assure la continuité des dimensions esthétique, poétique et utopique du réel, et le lien de l’individu et du tout, comment rendre une âme à une modernité désenchantée sans verser dans la mythologie ? Comment restituer une âme à un quotidien des plus prosaïque, sans pour autant sombrer dans le sentimentalisme ou le kitsch ? Car l’âme n’a pas succombé sous les coups d’une raison instrumentale triomphante ; elle n’a pas été remplacée par la machine ni par l’électronique: "Elle s’y cache, au contraire, comme dans les jouets et les poupées des enfants – elle est partout où elle n’est pas obligée d’être", soulignent Guy Hocquenghem et René Schérer.
Cet essai philosophique prend pour méthode l’écart signi catif: il s’agit de ménager la possibilité d’une respiration, voire d’une sortie de cette moderne condition. Et seul le fait de "rendre l’âme au monde" semble à même de desserrer l’étreinte d’une modernité asphyxiante, autre nom d’un réalisme de plomb qui aplatit tout relief. Rendre l’âme au monde, réhabiliter la sensibilité baroque : tel est le "remède au désenchantement [qui] réside dans un autre régime de signes, dans l’écart absolu avec un langage dont la seule mesure tend à devenir l’adéquation réaliste, la classi cation appauvrissante, la contrainte informationnelle".