La révolution au Venezuela : Une histoire populaire
Deux années après sa mort, Hugo Chávez reste la figure incontournable, adulée ou haïe, du Venezuela contemporain. Pour certains commentateurs, il incarne la persistance du caudillisme, cancer politique de l'Amérique du Sud. Pour d'autres, il est le symbole de la lutte anticapitaliste et anti-impérialiste sur le continent et sa « révolution bolivarienne », le modèle d'une transition étatique de gauche par le haut.
Ceux qui se sont intéressés au cas vénézuélien ont donc systématiquement cherché à saisir le destin extraordinaire de ce modeste soldat indigène devenu maître d'un État gouverné jusqu'alors sans partage par l'élite blanche. Pourtant, la focalisation sur la personnalité de Chávez, chez ses partisans comme chez ses détracteurs, tend à masquer la réalité profonde du processus en cours. Ce livre prend le contrepied de cette démarche, déplaçant l'attention du palais présidentiel vers les barrios, les quartiers populaires qui campent les hauteurs de Caracas, où vivent les fractions du peuple qui forment le plus puissant soutien du régime. Pas d'homme providentiel ici, mais une réponse, univoque, quand on les interroge sur leur président : « Chávez, c'est nous qui l'avons fait ! » George Ciccariello-Maher a rencontré des militants locaux, d'anciens guérilleros, des figures du chavisme, des opposants de gauche pour produire une passionnante histoire populaire de la révolution bolivarienne.
Une histoire « par en bas », qui s'enracine dans le temps long des luttes sociales - ouvrières, paysannes, étudiantes - et des combats des Indiens, des Afro-Vénézuéliens et des femmes pour leurs droits. Tous ont subi pendant des années la même violence d'État qui a culminé en 1989 lors du Caracazo, une révolte antilibérale réprimée dans le sang. Pour ces mouvements révolutionnaires hétérogènes, la candidature de Chávez en 1998 a constitué un point de ralliement.
Puis une position à défendre.
George Ciccariello-Maher prête une attention particulière aux rapports entre l'État, la constitution et les multiples acteurs de la révolution, représentés dans les conseils communaux qui couvrent le pays depuis plus d'une décennie. Loin du régime monolithique parfois dépeint, il décrit un processus dynamique, dialectique, et contradictoire : car ceux qui ont « fait Chávez » peuvent aussi le défaire, lui ou ses successeurs, s'ils ne répondent plus à leurs aspirations révolutionnaires.
Alors qu'en Europe, des formations politiques cherchent à s'inspirer des expériences du « socialisme du xxie siècle », ce livre s'avère indispensable pour comprendre ce qui s'est passé au Venezuela, ce qui se joue aujourd'hui dans l'après-Chávez et plus largement, pour appréhender correctement les transformations sociales à l'oeuvre en Amérique latine.