La Palestine des ONG : Entre résistance et collaboration
Julien Salingue est docteur en science politique. Ses recherches portent sur les dynamiques économiques, sociales et politiques dans les territoires palestiniens. Il a notamment publié À la recherche de la Palestine (2011, éditions du Cygne), La Palestine d'Oslo (2014, Cahiers de l'Iremmo) et codirigé, en 2013, Israël : un État d'apartheid (L'Harmattan).
Julien Salingue Si la question palestinienne demeure, plus de 65 ans après la création de l'État d'Israël, un enjeu géopolitique et diplomatique essentiel, tant à l'échelle internationale qu'à celle d'un Moyen-Orient en pleine déstabilisation, l'idée même d'une solution politique durable n'a jamais été aussi éloignée. La faillite du processus d'Oslo a ainsi conduit nombre d'acteurs - tant internationaux que locaux - à substituer à la perspective d'une solution au « conflit » des politiques d'assistance destinées à atténuer les effets de l'occupation israélienne, tant par l'aide d'urgence que par l'aide au développement.
Cette substitution s'incarne notamment dans le financement d'un pseudo-appareil d'État, l'Autorité Palestinienne (AP), dont le rôle fonctionnel de containment des revendications palestiniennes s'appuie tout autant sur la coercition (grâce à ses forces de répression) que sur l'achat du consentement (grâce aux aides internationales). L'AP a été de facto intégrée à l'architecture de l'occupation israélienne et sa survie n'est aujourd'hui possible que grâce au versement de sommes colossales par des pays donateurs qui refusent de faire leur deuil du « processus de paix ».
Le rôle des ONG au sein de ce dispositif est essentiel, dans la mesure où elles contribuent à pallier les déficits du « processus de paix ». Il ne s'agit pas de céder ici à la facilité en proclamant qu'elles « poseraient des pansements sur des jambes de bois ». Leur fonction est complexe : elles incarnent et expriment des dynamiques contradictoires, qui dépassent de loin le champ humanitaire, et sont un révélateur des tendances générales à l'oeuvre dans les territoires occupés : économicisation et dépolitisation de la question palestinienne, mise sous tutelle financière des populations de Cisjordanie et de Gaza, mutations du champ politique palestinien, sédimentation d'une couche sociale dépendante de la survie du « processus de paix », marginalisation des militants défendant l'empowerment, etc.
L'ouvrage se propose donc d'exposer ces dynamiques par une étude des trajectoires des ONG palestiniennes au cours des 20 dernières années.
Il s'agit d'analyser les changements survenus avec l'entrée dans le « processus de paix », et donc de comprendre comment et pourquoi des structures militantes (années 1970-1980) sont devenues des prestataires de services. Il s'agit également d'interroger la place d'« ONG » au sein d'un pseudo-État, et de questionner leurs rapports complexes (concurrence et complémentarité) avec un appareil politicoadministratif qui, à bien des égards, leur ressemble.
Il s'agit aussi de penser le rôle fonctionnel des ONG dans l'offensive symbolique qui vise à transformer les Palestiniens, peuple avec des droits, en individus avec des besoins.