Pétrograd, Shanghai
Devant le risque de scission des forces armées, un lent mouvement d'inversion répressive, de retour à l'ordre commence en septembre 1967. Donc, une révolution culturelle d'un peu plus d'un an, du printemps 1966 à l'automne 1967.
« Les inventions politiques, qui ont donné à la séquence son allure révolutionnaire incontestable, n'ont pu [dans une période si brève] se déployer que comme débordements au regard du but qui leur était assigné par ceux que les acteurs mêmes de la révolution (la jeunesse, les rebelles ouvriers) considéraient comme leurs dirigeants naturels : Mao et son groupe minoritaire. »
Débordements, le mot est important, il récuse l'idée aujourd'hui dominante que la RC fut une lutte pour le pouvoir dans les sommets de la bureaucratie du Parti-État, que Mao mis en minorité eut recours à des forces étrangères au Parti (les gardes rouges...) dont il finit par reprendre le contrôle. En parallèle aux Thèses d'Avril de Lénine, Badiou analyse longuement la Décision en 16 points du parti communiste chinois (août 1966) qui est tout autre chose qu'un document administratif émanant du Parti-Etat : « Être l'élève des masses avant d'être leur professeur. Oser faire la révolution, ne pas craindre les désordres, s'opposer à ce qu'on joue les grands seigneurs, qu'on se tienne au-dessus des masses pour les commander à l'aveuglette »
Comme la Révolution russe de 1917, la RC aura été, pour finir, un échec, « vaincue par la coalition disparate de la majorité craintive des cadres du parti, de l'armée comme toujours conservatrice, et de l'esprit petit-bourgeois d'un grand nombre de dirigeants étudiants engagés dans l'ultragauche. Mais sa formule demeure, et la méditation de ses enseignements doit structurer toute entreprise politique visant à sortir du marécage capitaliste contemporain. »
Alain badiou
En 1917 à Petrograd - capitale et centre révolutionnaire - le premier temps de la révolution, de février à l'automne, fut une tentative d'implantation en pleine guerre d'un régime « démocratique » à l'occidentale. Mais ce qui en sortit, sous l'impulsion du parti bolchevique et de Lénine, ce fut en octobre « la première victoire dans toute l'histoire de l'humanité, d'une révolution post-néolithique ». Badiou analyse dans un chapitre distinct les « Thèses d'avril » de Lénine, oeuvre politique majeure qui prépare et explique la révolution d'octobre : dix thèses sur la guerre, sur le pouvoir au prolétariat et à la paysannerie pauvre, sur la patience, sur le dépassement du capitalisme, sur l'organisation du parti... Un travail théorique qui accompagne et guide cette révolution « qui a montré pour la première fois dans l'Histoire qu'il était possible de réussir ».
Pour la Révolution culturelle, Badiou montre que la chronologie est essentielle. Le récit aujourd'hui dominant est qu'elle a duré 10 ans, de 1966 à 1976 ou de l'apparition des gardes rouges à la mort de Mao. Pour Badiou, il faut voir les choses autrement : La direction du parti cherche d'abord à contenir l'agitation dans le cadre des universités - ce qui échoue en août 1966 quand les gardes rouges se répandent dans les villes. Puis dès la fin de 1966 et le début de 1967, les ouvriers deviennent la force révolutionnaire motrice - c'est le moment de la Commune de Shanghai, moment bref mais essentiel, où l'alliance ouvriers-étudiants parvient à chasser le vieux parti communiste local et à prendre le pouvoir dans la ville. Puis les administrations du parti et de l'État entrent elles aussi dans la tourmente (« les prises de pouvoir »).
Enfin même l'armée, toujours gardée comme force de réserve, entre en ébullition pendant les violences à Wuhan en août 1967.