Le nucléaire, c'est fini
C’est maintenant officiel : le nucléaire n’est plus « compétitif ». Il n’offre plus de réelles perspectives de profit commercial en tant que source d’électricité. Westinghouse, le géant américain du secteur, vient d’ailleurs de faire faillite, et les constructeurs français sont en train de lui emboîter le pas. Malgré cela, l’État nucléaire français se comporte comme si de rien n’était. Et pendant que les énergéticiens spéculent sur les vertus de la transition, les fermetures de réacteurs sont partout différées, la voiture électrique installe ses bornes dans les campagnes. Le nucléaire est propre, net, rentable, il sauvera le climat, qui le sauvera en retour. Pourtant, en y regardant de plus près, les infrastructures nucléaires semblent particulièrement inadaptées à la violence des nouveaux phénomènes climatiques. Vulnérables aux épisodes de sécheresse, d’inondations, de tempêtes, elles risquent la perte de refroidissement à chaque coupure d’alimentation électrique. Dans le même temps, elles ont absolument besoin d’être situées à proximité d’importantes réserves d’eau, ce qui n’arrange rien. Le climat, dans son état actuel d’instabilité, est foncièrement antinucléaire. Depuis ses commencements, la filière nucléaire s’est organisée et légitimée en s’appuyant sur des raisonnements de type statistique. Son mécanisme général consiste à envisager le danger comme s’il s’agissait d’une entité fictive, rebaptisée risque, pour pouvoir conclure que ce risque serait acceptable. Cette étrange science probabiliste sert d’emballage à un régime législatif d’exception, mis en place à la fin des années 1950, et organisé autour d’un principe fondamental : l’irresponsabilité civile des exploitants, à laquelle répond celle de l’État, légalement tenu à quelques centaines de millions d’euros de réparation seulement. Pour le reste, rien ne l’oblige à se soucier de la population. Puisque l’État ne nous protège pas, mais plutôt se protège à nos dépens, nous n’avons plus de raison d’obéir aux injonctions de silence du sceptre nucléaire. Ce constat libérateur donne naissance à une série de Récits radioactifs, autobiographiques et subjectifs, dans lesquels surgissent une amie d’enfance au père mystérieux, une datcha russe, une étrange affaire de caténaires, un arrêt sur image à Fukushima. Le parcours se termine par un voyage historique sur la côte basque, parmi les ruines marines de la centrale de Lemoiz. De retour à Bure, dans l’infinie horizontalité de la Meuse, dans la pure verticalité du pouvoir de l’atome, nous surprenons l’État nucléaire absorbé par la préparation de sa sépulture : « Cigeo », un projet pharaonique d’enfouissement profond aux sonorités mortuaires. La tentation de laisser disparaître de notre vue une chose aussi terrible que le nucléaire est grande, car nous pourrions ainsi espérer atteindre une terre d’oubli aujourd’hui inaccessible. Mais les expériences du WIPP aux États-Unis ou des mines d’Asse en Allemagne prouvent que cette amnésie serait de courte durée. L’étanchéité restera toujours un phénomène provisoire, même dans la plus isolée des sociétés du confinement.