Gran Madam's
Virgine Lupesco, ex-étudiante en lettres, est tombée dans la prostitution. Elle «travaille» sous le nom de «Bégonia Mars» à la Jonquera, dans une de ces boîtes proches de la frontière, le Gran Madam's. Quand elle ne se plie pas aux désirs de Ludovic, son mac, elle prend des coups. Et pourtant c'est ensemble, et avec l'aide du Chinois, qu'ils vont assassiner le patron du Gran Madam's, le Catalan. Ils déposent son corps au sommet du monument pyramidal qui, sur l'autoroute, borde la frontière francoespagnole.
Bégonia, Ludovic et le Chinois vont ensuite prendre la fuite vers Paris. À Leucate, ils rencontrent Marielle, une jeune ado fugueuse qui leur demande de la ramener chez elle. La cavale bifurque et prend un tour inattendu. Hébergé par les parents de la jeune fugeuse, le trio va découvrir petit à petit les raisons de la souffrance de Marielle.
Anne Bourrel réussit dans ce roman noir l'exercice difficile qui consiste à faire ressentir la violence et la complexité des rapports entre un homme et la femme qu'il a soumise à sa volonté. Ainsi lors de sa cavale, Bégonia hésite à fuir, alors qu'elle en a la possibilité comme jamais auparavant, et, prétextant l'intérêt qu'elle porte à Marielle, elle s'attarde auprès de son maître. Loin des poncifs, Anne Bourrel nous fait découvrir un proxénète qui va imperceptiblement changer de visage et s'attendrir pour une très jeune fille, Marielle, dans une attitude presque paternelle. Bégonia échappe aussi à la caricature : elle est une prostituée soumise et rebelle qui exhale un mélange de douceur maternelle, d'autodérision joyeuse et de violence ravageuse.
Anne Bourrel fait aussi le lien dans ce roman entre la tolérance de la police vis-à-vis de la prostitution et le silence de la population du village qui ne comprend rien aux fugues à répétition de Marielle, et ne veut pas voir ce qui pourtant saute aux yeux. Comme le reste de la société, les habitants du village ne veulent rien entendre de la douleur des esclaves du sexe, que cela se passe dans les familles ou dans les bordels de la Jonquera.
La narration cède parfois la place à d'étonnants dialogues de théâtre ou des passages oniriques : les bras en croix, le ventre à l'air au sommet de sa pyramide dont les plus hautes marches lui font un escalier jusqu'au ciel, le Catalan est ainsi le personnage central du roman, un personnage dont le lecteur ne sait rien sinon ce qu'il en imagine et qui hante tout au long du roman Bégonia.
Ce mélange des genres et un décalage toujours bienvenu, font de ce roman un objet rare et à part.