Face à Gaïa
Jusque-là, on pouvait invoquer la Nature (et la Science) : elle était l'arbitre ultime de nos querelles humaines. La Nature constituait l'arrière-plan de nos actions. Elle obéissait à des lois, mais ne se mêlait pas de nos histoires. Or, à cause des effets imprévus de l'histoire humaine, ce que nous regroupions sous le nom de Nature quitte l'arrière-plan et monte sur scène.
'air, les océans, les glaciers, le climat, les sols, tout ce que nous avons rendu instable, interagit avec nous. Nous sommes entrés dans la géohistoire. C'est l'époque de l'Anthropocène. Avec le risque d'une guerre de tous contre tous. L'ancienne Nature disparaît et laisse place à un être dont il est difficile de prévoir les manifestations. Cet être, loin d'être stable et rassurant, semble constitué d'un ensemble de boucles de rétroactions en perpétuel bouleversement. Gaïa est le nom qui lui convient le mieux. En explorant les mille figures de Gaïa, on peut déplier rétrospectivement tout ce que la notion de Nature avait confondu : une éthique, une politique, une étrange conception des sciences et, surtout, une économie - et même une théologie. Finalement, la Nature était très peu terrestre. Gaïa, c'est le nom du retour sur Terre de tout ce que nous avions un peu rapidement envoyé off shore. Alors que les Modernes regardaient en l'air, les Terriens regardent en bas. Les Modernes formaient un peuple sans territoire, les Terriens recherchent sur quel sol poser leurs pieds. Ils reviennent sur une Terre dont ils acceptent, enfin, d'explorer les limites ; ils se définissent politiquement comme ceux qui se préparent à regarder Gaïa de face.