Prendre soin
Prendre soin, c'est un peu la même histoire que Patients, mais de l'autre côté, du côté de l'expérimenté, du spécialiste, du côté du kiné qui en a vu beaucoup et qui a réussi à se protéger sans se blinder, les yeux très ouverts et le coeur plein les yeux.
« J'avais vingt-trois ans lorsque je fus engagé comme kinésithérapeute dans le centre de réadaptation de Coubert. J'y restai quinze ans. Quinze ans qui résonnent en moi intensément, comme une peine purgée à mon corps défendant. Durant cette période, la blouse blanche m'a placé du côté des matons, libres en apparence, telles des sentinelles dressées face au handicap déferlant ; libres, ou presque.
J'ai dû apprendre à dire que non, ce ne serait plus jamais comme avant. Je me suis protégé. Je me suis fait envahir. J'ai nourri ma vie de trajectoires bouleversantes et de fulgurantes leçons. J'ai mesuré l'infortune, prolongé les efforts, soutenu les regards, ouvert mon être pour tenter de donner un sens aux mots «prendre soin» ».
François Chevet, son diplôme de kinésithérapeute en poche, rejoint l'équipe soignante de l'un des meilleurs centres de réadaptation d'Europe, où il travaille auprès des grands blessés du système nerveux central : paraplégiques, tétraplégiques, hémiplégiques, traumatisés crâniens, malades de Parkinson. Prendre soin est son premier livre.
« Le corps médical n'est plus là uniquement pour nous soigner mais aussi pour nous aider à vivre dans notre quotidien le plus intime. Du coup on les aime bien nos aides-soignants et nos infirmières, on n'a pas vraiment le choix. C'est eux qui nous assoient, qui nous tiennent la fourchette et le verre d'eau, c'est eux qui nous brossent les dents, c'est eux qui vident nos vessies et nos intestins. On pense parfois qu'on les supporte tant bien que mal, mais en fait on les aime bien. Ils sont la première main qui nous soutient, le premier mot qu'on entend qui nous prouve qu'on respire encore, notre premier lien vers une vie normale. (...) Et puis, dans mon centre de rééducation, il y a eu François Chevet... Mon Kiné. François, il a une blouse blanche mais il te parle d'égal à égal. Il parle à un être humain, pas seulement à un tétraplégique ».
Grand Corps Malade