La Vis
Les fleurs rouges, le précédent volume de cette anthologie, montrait Yoshiharu Tsuge trouvant peu à peu ses marques au sein de la mythique revue Garo. Après des débuts qui avaient suscité des réactions contrastées chez certains lecteurs, il avait fini par poser les jalons du watakushi manga, "la bande dessinée du moi", ce genre qui voit s'entremêler autobiographie et fiction pour faire surgir une forme d'authenticité inédite. Cette innovation était cependant loin de laisser imaginer la révolution qui allait survenir. En 1968, le talent de Tsuge ne fait plus débat. Ses pairs ne s'y sont pas trompés et son éditeur, qui est soucieux d'accompagner ce début de reconnaissance, décide de lui consacrer en juin l'un des numéros spéciaux du magazine. Les lecteurs y retrouvent les histoires déjà publiées dans la revue, ainsi qu'une nouvelle inédite, Neji Shiki (La vis). Le caractère novateur de cette histoire produit un choc difficile à se représenter aujourd'hui. Mais il y a clairement, dans l'histoire de la bande dessinée japonaise, un avant et un après Neji Shiki. Fort de ce coup d'éclat, Tsuge se sent encouragé à poursuivre dans la veine onirique qu'il vient d'inaugurer. Les sept histoires qui composent le présent volume illustrent cette évolution. L'autobiographie n'est plus qu'une source, une matière que l'auteur retravaille pour approcher sa vérité intime ; elle se mêle de fantasmes et de pulsions. Le trait se complexifie et s'adapte au récit ; Tsuge n'hésite pas à varier les registres au sein de la même histoire. Il se fait aussi moins aimable. Mais en piétinant les conventions, il invente sa propre écriture et révolutionne à jamais le médium.