Syndicalisme et santé au travail

Auteur : Collectif
Editeur : Editions du Croquant

Depuis une dizaine d'années, la santé au travail bénéficie d'une attention soutenue dans le champ politique, scientifique et médiatique. Au sein des entreprises, l'intérêt pour le sujet est, lui aussi, grandissant : outre l'extension régulière du champ d'action des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail depuis 30 ans, des mesures législatives incitent représentants du personnel et patronat à conclure des accords sur le harcèlement et la violence au travail, sur le stress et sur la qualité de vie au travail, à mesurer, dans une approche pluridisciplinaire et « globale », les conséquences du travail sur la santé et la sécurité des travailleurs et à consigner chaque année, dans un document unique, les résultats de cette évaluation. Toutefois, dans leur mise en oeuvre, ces mesures règlementaires et législatives sont loin de mettre en actes ce qu'elles prétendent. D'une part, les accords conclus sur le stress dans les entreprises de plus de 1 000 salariés s'avèrent souvent d'une portée limitée, lorsqu'ils n'occultent pas les liens entre santé et organisation du travail. D'autre part, si les CHSCT, dont le fonctionnement demeure hétérogène, influencent positivement la prévention des problèmes de santé au travail, ils peinent à endiguer les risques organisationnels et psychosociaux et manquent encore de moyens pour mener à bien leurs missions. Au moment où se multiplient les études faisant état d'une dégradation des conditions de travail, il nous semble donc particulièrement intéressant d'étudier les pratiques et représentations d'un acteur clé du « travail de prévention » : les organisations syndicales.
L'ambition de cet ouvrage est de réunir des spécialistes du syndicalisme, des relations professionnelles et de la santé au travail qui s'emploient à répondre aux questions suivantes : comment les organisations syndicales, qui témoignent d'une sensibilité accrue vis- à-vis de la santé au travail, s'emparent-elles de ce sujet ? De quelle façon les militants, de plus en plus nombreux à suivre des formations sur les RPS, à solliciter la conduite d'expertises CHSCT et à tisser des liens avec le milieu universitaire pour se constituer une « contre-expertise » face au discours patronal, s'engagent-ils sur ce terrain de luttes et de négociations ? Quelles significations confèrent-ils à la santé des travailleurs et à la prévention des risques professionnels ? Quelle place accordent-ils à la santé mentale par rapport aux troubles plus traditionnels, mentionnés dans les tableaux de maladies professionnelles ? Comment envisagent-ils la prévention de ces deux types de risques ? Sont-ils porteurs d'un point de vue collectif sur le mal-être au travail ? Quelles revendications portent-ils sur le travail, son organisation, ses moyens et ses finalités ? Les divisions philosophiques et politiques traditionnelles qui caractérisent les différentes organisations syndicales se retrouvent- elles sur ce sujet ? Observe-t-on une hétérogénéité des pratiques et des représentations syndicales selon les pays ?
On sait que l'engagement syndical pour la défense de la santé des travailleurs présente des différences notables selon les métiers, les branches professionnelles et les catégories professionnelles représentées, mais que la première décennie du XXème siècle, le Front populaire et les « années 68 » se dégagent comme les temps forts de la mobilisation collective en la matière. Quels enseignements tirer de ces expériences pour appréhender la période actuelle ? Et sur quelles ressources se sont appuyés les militants d'entreprises comme EDF et France Télécom pour mettre en discussion la santé au travail, dans un contexte d'individualisation de la relation salariale et de déclin des représentations collectives ? Par ailleurs, l'enquête REPONSE menées par la DARES en 2011 montre que les conditions de travail sont devenues le 2ème thème de conflit dans les entreprises, derrière la rémunération, mais devant le temps de travail, l'emploi et les licenciements. Comment interpréter cette progression ? Quelles formes prennent ces mobilisations ? Quels en sont les ressorts ? Dans quelle mesure reconfigurent- elles les enjeux de pouvoir sur la reconnaissance des maux du travail ? Font-elles évoluer les pratiques syndicales au sein des CHSCT ? Fragilisent-elles la position dominante des directions d'entreprises en la matière ?
A l'inverse, quels sont les contextes dans lesquels les démarches collectives ne parviennent pas à s'exprimer et à se structurer ? Dans quelle mesure les syndicats s'extraient-ils des raisonnements individualisants qui visent à imputer à la sphère privée et aux travailleurs les raisons de leurs maux ? Quelle distance prennent-ils vis-à-vis des modalités de prévention d'inspiration hygiéniste, parfois interprétées comme une manoeuvre patronale pour « dépolitiser » le débat sur l'organisation du travail ? En quoi sont-ils amenés à renouveler leurs pratiques ou, au contraire, à réinvestir des questions déjà posées dans les années 1960 et 1970, au moment où certains d'entre eux portaient une critique du taylorisme, revendiquaient le droit à l'expression des travailleurs et luttaient pour l'amélioration des conditions de travail ? Si certaines manifestations de mal-être semblent inédites, ne soulèvent-elles pas, en effet, des interrogations qui, elles, ne sont pas nouvelles, comme l'élaboration d'une cause collective à partir de plaintes individuelles, comme l'intervention syndicale sur le travail et son organisation, que certaines organisations ont longtemps refusé d'investir ou encore la reconnaissance de la responsabilité de l'employeur à l'égard des risques professionnels ? Quels leviers actionnent-elles pour faire reconnaître celle-ci dans un contexte de banalisation et de déni des risques, caractérisé par une invisibilité structurelle des accidents du travail, des maladies professionnelles et de la sous-traitance des risques ? De quelle manière les syndicats font-ils face aux difficultés d'objectivation des problèmes de santé au travail, en particulier dans les organisations qui ne tolèrent pas leur expression, dans les milieux professionnels où les salariés ont peu tendance à les exprimer - à l'instar de ce que M. Loriol observe chez les policiers (2012) - et lorsque la perception des liens entre travail et santé n'est pas immédiate pour les travailleurs eux- mêmes ?
Cet ouvrage vise à interroger les modalités de l'action syndicale en matière de santé au travail, que ce soit sur le plan de la négociation collective, des luttes institutionnelles ou de l'action collective. Son ambition est non seulement d'éclairer les formes et les enjeux du syndicalisme contemporain à ses différents niveaux d'action (national, branches professionnelles, local), de produire des connaissances sur les rapports de force qui traversent le monde du travail, mais aussi d'examiner l'une des voies possibles d'amélioration de la prévention des risques professionnels, au moment où se multiplient les constats alarmistes sur la santé des travailleurs. Pour répondre à ce triple objectif, cet ouvrage s'inscrit dans une démarche pluridisciplinaire en associant les contributions d'historiens, de politistes, de sociologues, d'ergonomes, de gestionnaires et de juristes et en réunissant les regards d'universitaires et d'acteurs de terrain, comme des militants syndicaux, des médecins du travail et des experts des cabinets conseillant les CHSCT et les CE.

15,00 €
Parution : Octobre 2017
275 pages
ISBN : 978-2-3651-2104-0
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