Algérie 2019-2020 : Le peuple insurgé
Depuis le 22 février 2019, l'Algérie est le théâtre d'une contestation populaire inédite qui ne présente aucun signe d'essoufflement. Chaque vendredi, des centaines de milliers de personnes de toutes professions et condition sociale et de toutes opinions, hommes et femmes, jeunes, vieux et même enfants... investissent les rues des villes et des villages pour exprimer pacifiquement leur soif de liberté et leur refus du régime en place.
Ce mouvement populaire n'est pas organisé, n'a pas de direction et refuse toute velléité de le représenter ou de parler en son nom.
Pourtant, en quelques semaines à peine, il a provoqué une crise du pouvoir et présente un palmarès impressionnant : reconquête du droit de manifester, renoncement du Président Abdelaziz Bouteflika à se présenter à un cinquième mandat, annulation du scrutin présidentiel fixé au 18 avril 2019, démission du Président et du gouvernement du Premier ministre Ahmed Ouyahia, entrée en crise profonde des partis de la coalition présidentielle, refus de la présidentielle du 4 juillet fixée par le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah...
Acculé, sur la défensive, le pouvoir s'est divisé. Une intense bataille interne oppose les partisans du président déchu au commandement militaire regroupé autour du chef d'état-major et vice-ministre de la défense Ahmed Gaïd Salah. Sous couvert de lutte contre une corruption insondable, ministres, hommes politiques et oligarques, walis (préfets) et autres fonctionnaires sont poursuivis, placés en détention et commencent, pour certains d'entre eux, à être condamnés par la Justice.
En dépit de ce nettoyage auquel l'essentiel du peuple algérien adhère, le pouvoir en place s'avère incapable de mettre fin à la mobilisation populaire. Les Algériens exigent en effet un profond changement politique et refusent dans leur majorité une présidentielle tenue dans le cadre de l'actuelle Constitution. A une bataille interne au pouvoir s'articule ainsi une lutte entre le pouvoir et le mouvement populaire.
Transition démocratique ou maintien du régime, tels sont les deux termes de l'équation politique algérienne qui ne manquera pas de marquer l'évolution de ce pays dans les semaines et mois, voire années à venir. Quelles sont les forces qui s'affrontent dans ce bras de fer, quelles contradictions les traversent, quelles stratégies portent-elles, quels intérêts expriment-elles ?
C'est à répondre à ces questions que s'emploie cet essai. Il ne peut pour cela faire l'économie d'un retour sur les luttes politiques qui secouent le pays depuis son indépendance afin d'en faire ressortir les enjeux essentiels, immédiats et lointains.