L'Amour propre
Au salon de massage de luxe de M. Victor, rue de Courcelles, entre les mains habiles de Waan, les hommes s'abandonnent.
Eux n'ont d'yeux que pour sa beauté métisse. Elle a apprivoisé depuis longtemps leurs regards prédateurs. Comparée aux autres filles qui peuplent ce gynécée d'exception, à Katia ou Leïla par exemple, Waan semble jouir d'un statut de favorite auprès de M. Victor. Est-ce parce qu'il l'a vue grandir ?
Depuis qu'elle est devenue orpheline, Waan est reconnaissante envers M. Victor, un ancien associé de son père, de lui avoir évité la fin tragique de la plupart des filles de sa condition en Thaïlande.
Mais toute protection a un prix, que M. Victor n'oublie pas de réclamer entre deux symphonies. Et si l'écrin somptueux dans lequel elle pratique aujourd'hui n'a rien à voir avec les arrière-cours miséreuses de Chiang Rai, depuis quelques semaines Waan ressent une inquiétude diffuse.
Il y a ce ministre pressant qui la harcèle de questions, et ce reporter dont elle attend les visites avec davantage d'impatience qu'elle ne veut bien l'admettre, elle qui n'a jamais rien ressenti pour un client. Elle qui se méfie des hommes, de leurs mensonges et de leurs désirs impérieux.
Il y a surtout les silences de M. Victor, qui semblent dissimuler le passé et l'enfance de Waan derrière des tentures aussi opaques que celles du salon.
Waan rêve alors de tout changer. Ne plus masser le corps des hommes. Ne plus entendre ces mêmes mélopées dans le boudoir de M. Victor. Mais a-t-on toujours le choix ?