La révolution russe
Depuis quatre-vingts ans il n'existe pas d'article, de lettre, de brochure écrite par Rosa Luxemburg qui ait été l'objet de controverses aussi passionnées que les notes qu'elle rédigea en prison et qui furent publiées après sa mort sous le titre La Révolution russe.
Cette révolution, dès ses débuts (révolution de février 1917), Rosa Luxemburg en souligne l'importance et houspille ses correspondants qui ne partagent pas son enthousiasme. « Les magnifiques événements de Russie agissent sur moi comme un élixir de vie. Je crains que tous autant que vous êtes, ne sachiez pas en apprécier l'importance » (à Martha Rosenbaum, avril 1917). « Ne comprends-tu pas que c'est notre propre cause qui triomphe là-bas ? » (à Luise Kautsky, 15 avril).
Quand elle reçoit des nouvelles de la Révolution d'Octobre, elle écrit : « Mon coeur tremble beaucoup pour les Russes. Hélas je n'espère pas de victoire des léninistes mais je préfère une telle fin au slogan «Restons en vie pour la patrie» » (à Mathilde Wurm, 15 novembre). Deux semaines plus tard, à Clara Zetkin : « Les événements en Russie sont d'une grandeur et d'un tragique magnifiques. Le seul fait d'avoir tenté le coup est un fait marquant dans l'histoire du monde. » Dès leur prise du pouvoir, les révolutionnaires russes avaient publié un Décret sur la paix et engagé aussitôt des pourparlers avec l'Allemagne. Au terme de longues négociations les Allemands imposèrent aux bolcheviks le traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918) qui amputait la Russie d'un territoire d'environ un million de kilomètres carrés.
Dans un article intitulé « La tragédie russe », Rosa Luxemburg reprochait vivement aux bolcheviks d'avoir signé la paix (les accusant même de préparer un accord avec l'impérialisme allemand !) pour conclure brusquement qu'il n'existait pas de solution satisfaisante : « En dernière analyse, c'est le prolétariat international et surtout l'infamie persistante et sans exemple de la social-démocratie allemande qui portent la responsabilité des fautes des bolcheviks. » Ces notes sur la Révolution d'Octobre furent donc rédigées à l'automne 1918 sur un cahier d'écolier, un tiers au crayon, deux tiers à l'encre. Elles furent mises en sécurité en janvier 1919 au lendemain de l'assassinat de Rosa afin de les soustraire aux perquisitions de la police. Paul Levi - qui dirigeait alors le Parti communiste allemand - eut entre les mains une copie incomplète de ces notes qu'il décida de publier à la fin de 1921, après avoir été exclu du KPD.