Les élus et les damnés
Les dessins des dernières années de Louis Soutter portent en eux une énergie contagieuse. Œuvres de l’enfermement et de la frustration, elles ouvrent et questionnent. Œuvres d’un homme envoûté, elles sont envoûtantes.
Tracées à l’encre de chine et le plus souvent du bout des doigts, sans plume ni pinceau, comme en prise directe sur le système nerveux, ce sont des figures, hommes et femmes, souvent de profil, des silhouettes sans ombre, ombres elles-mêmes, marchant, courant, trébuchant, vers l’inconnu mais avec la certitude de l’inéluctable. Ces formes élémentaires ont des proportions telles que le geste du bras du dessinateur assis est naturel, libre d’improviser. Peu de couleurs, souvent le noir seul, pas de profondeur illusoire, tout se passe sur le plan du papier. Au fil des années, j’ai passé du temps à les regarder, dans des livres, dans des musées, dans des collections privées. Un beau jour ils se sont mis à parler en moi, je n’ai fait que les écouter, accompagner leur litanie syncopée. (Jean Frémon)