L'homme qui a perdu son squelette
Le vent lui apportait perpétuel un bruit d'osselets. C'étaient les signes du gel noir et il pensait à son squelette perdu, à son squelette ciselé par l'hiver de minuscules fougères inhumaines. Chemin faisant, il interrogeait voyageurs et passants. Mais, nonchalants ou pressés, ceux-ci ne lui répondaient point, ne levaient pas même les yeux sur lui. Il sut alors qu'il était invisible. La nuit, il sentait en lui un travail insolite. «Est-ce toi ?» murmurait-il. Ses poignets se durcissaient, ses veines s'écaillaient. Dirigée par Sophie Taeuber-Arp (et publiée avec le soutien du collectionneur américain Albert Eugene Gallatin), la revue Plastique publie textes, articles et dessins. En 1939 les numéros 4 et 5, les derniers, accueillent une sorte de «cadavre exquis» : L'homme qui a perdu son squelette, collectivement signé par Hans Arp, Marcel Duchamp, Paul Eluard, Max Ernst, Georges Hugnet, Henri Pastoureau et Gisèle Prassinos. Par la multiplication des mains, qui ignorent chacune la rédaction de l'autre, le «roman» est privé de colonne vertébrale : seul le merveilleux subsiste.