Entre parenthèses - Prix du Premier Roman 2001
"La parenthèse, à cet instant, lui parut le mode idéal de la relation amoureuse, la porte ouverte et refermée au gré des humeurs, la bousculeuse d'habitudes sans promesses ni contraintes, sans droits ni devoirs, sans scrupules ni regrets, avec juste ce qu'il fallait de projets. Le passé et l'avenir nichaient dans le présent et les moments volés. Liberté, égalité, tant qu'on voudrait, bien que, côté fraternité, cela laissât un peu à désirer. On se colle, on se racole, on se prend, on se jette, ni quête ni exigence, tout le confort moderne, quoi. L'eau coule quand on ouvre les vannes, et personne ne se soucie de savoir dans quels tuyaux fendus elle disparaîtra. On ne s'aime pas. Ce sera moins douloureux." Janos regarde l'immeuble d'en face, de l'autre côté des bouleaux. Accoudé à la rambarde, il regarde sa voisine. Qu'il ne connaît pas. Qui ne le regarde pas, puis qui croise son regard, puis qui le regarde à son tour, à la dérobée. Un dimanche de pluie, obéissant à un sentiment d'urgence ou de nécessité, Janos aborde sa voisine dans la rue. Dans quelques semaines, il aura changé de domicile, il habitera la banlieue avec Elise, sa compagne, et il ne pourra plus contempler Mahaut. S'il veut faire sa connaissance, c'est maintenant ou jamais. Dans la ville ils se retrouvent. Où qu'ils aillent, Janos observe Mahaut, Mahaut observe Janos, pas de la même façon. Ils s'attendent, ils s'attardent, ils marchent côte à côte. Il lui parle, elle lui parle, pas de la même façon. La ville est accueillante qui leur offre ses trottoirs, ses cafés, ses jardins. Ils s'y rencontrent comme se rencontrent des regards, au milieu des autres, proches ou lointains, dans l'instant et dans la durée. Quand il s'éloigne, elle cherche des signes. Quand elle s'éloigne, il cherche sa présence. Et regarde encore. Et son regard n'est pas qu'attention. S'il donne, il délaisse aussi, il abandonne. Puis il revient, tenace, quand les peaux se rapprochent et s'apprivoisent et se plaisent. L'oeil accompagne la caresse et l'étreinte, veut toujours en voir davantage. Alors Mahaut va respirer ailleurs, sur une côte isolée, au bord d'une mer familière. Dans la chaleur du mois d'août et de la ville, Janos attend et trompe son ennui. Quand Mahaut revient, elle ne répond plus à ses appels. Janos la suit, un jour sur deux, un jour sur trois, semaine après semaine. La suit et ne la retrouve pas. Elle a échappé à son regard. Elle s'en est allée.