La Lie de la terre
Arthur Koestler, militant communiste, et Juif hongrois d'origine, aura connu beaucoup des années sombres de l'Europe. Durant l'hiver 1941, alors qu'il a été interné au camp du Vernet en Ariège par la République française en tant que communiste, il écrit son témoignage La Lie de la terre. Au Vernet, Koestler expérimente l'absurdité d'une administration française qui enferme les ennemis de ses ennemis, des réfugiés antifascistes et antinazis qui, parce qu'allemands ou autrichiens de nationalité, ou communistes de conviction, sont considérés a priori comme une potentielle « 5e colonne ». C'est un camp disciplinaire où les conditions d'hygiène, la sous-alimentation, le froid, la surveillance continue, l'ennui, le désespoir couplé à l'impuissance, rongent chacun. Koestler aura connu ces affres, et c'est cette violence nue qu'il rapporte sans pathos.
Ce texte donne à comprendre comment dans la crainte d'une nouvelle marche à la guerre, une partie de l'opinion française se radicalise dans les années 1937-1939. Il montre aussi le drame des communistes depuis septembre 1939, la trahison de Staline, leurs contorsions pour rester fidèles au Parti, les désillusions et les divorces. Enfin, La Lie de la terre met en lumière la tragédie de l'État moderne devenu machine répressive et antichambre du génocide : les Allemands n'auront qu'à se fournir en victimes dans les camps d'internement français. Ces victimes ce sont « les indésirables » dont parlait la droite française des années trente, c'est la « lie de la terre » épinglée par la presse collaborationniste, ce sont eux qui nourrissent ces camps, sas de l'horreur. C'est de là que partent les transferts à Drancy puis Auschwitz. Le Vernet de Koestler est le premier cercle de l'enfer qui conduit à la mort ignominieuse de la Shoah.