Les Tribulations du camarade Lepiaf
Dans ce roman inédit écrit en 1934, Arthur Koestler met en scène des enfants réfugiés allemands placés dans un foyer français, appelé L'avenir. Leurs parents, déjà emprisonnés dans les camps de concentration ou eux-mêmes exilés, ont dû se séparer d'eux ne pouvant plus subvenir à leurs besoins.
Que se passe-t-il dans ce foyer ? Un phénomène étrange : âgés de 2 à 16 ans, les enfants, qui portent tous des surnoms ironiques (« Dédé le voleur », « Ullrich l'Opposition », « Mathile aux Polypes ») reproduisent en milieu clos les débats qu'ils ont connus dans leurs familles. Ils élisent des responsables, organisent des réunions hebdomadaires, émettent des revendications, et créent un tribunal pour statuer sur le cas d'un voleur de chocolat.
Dans son récit qui frôle le surréalisme, Koestler s'interroge sur le pouvoir et la capacité des enfants à imaginer une société « autre », à l'image de cet avenir possible dont parlaient leurs parents. Pour un temps au moins, la réflexion politique apaise - ou masque -l'impuissance et la peur des protagonistes.
Pourtant, ce roman n'est pas l'un de ces romans à thèses qui pullulaient à l'époque, les dialogues politiques, les récits des enfants ou du personnel du foyer - dont Koestler réussit quelques portraits irrésistibles - sont souvent drôles et teintés d'ironie.
L'auteur parvient à rendre avec acuité l'ambiance intellectuelle de l'époque, du moins tel qu'il la perçoit, à la fois sarcastique, canaille et tragique. Il écrit ici l'un des premiers textes consacré aux exactions de la SA en Allemagne, aux premiers départs pour les camps de concentration, aux angoisses des exilés. Cette dimension historique en fait un roman splendide et bouleversant.